En 2006 après avoir écumé une partie des plus beaux spots du monde, m’est venu l’idée de réaliser un livre de photographies aériennes au-dessus de mon département la Manche… Après avoir étudié la question, réalisant le coût et le fait qu’il n’y avait pas d’hélico disponible au bon endroit, il a fallu me rendre à l’évidence que j’allais devoir trouver un autre moyen de voler. L’ULM pendulaire est apparu comme étant une première piste, mais une fois de plus je ne trouvais pas de pilote assez proche de chez moi.
Le premier copain qui m’a parlé du paramoteur est passé pour un fou … mais après quelques recherches passionnantes je me suis rendu compte que cette petite machine avait peut-être un potentiel adapté à mon projet. L’homme qui m’a conforté dans mon choix s’appelle Francis Cormon. Photographe aérien, basé dans l’Eure, il utilisait le paramoteur depuis quelques années déjà. Un coup de fil plus tard j’étais décidé à entreprendre le début de ma formation, motivé par les encouragements de Francis.
Quel bouleversement dans la vie d’un pilote lorsqu’il quitte le sol, seul à bord pour la première fois… et en paramoteur ça se passe dès le premier vol ! Étais-je fait pour ça ? Nul ne le sait, mais mon instructeur à la radio n’a pas réussi à me convaincre de redescendre avant 45 minutes tellement je me régalais là-haut. Dès le troisième vol, je lui demandais l’autorisation d’emporter mon appareil photo afin de vérifier (enfin) si tout ce que j’avais imaginé était réalisable : à savoir, voler avec simplicité, sécurité, lâcher les commandes, tenir un boitier reflex dans les mains et faire des images, je devrais dire des photographies aériennes. Sans aucun doute l’un des plus beaux jours de ma vie ! Je venais d’acquérir une des plus grandes libertés imaginables : celle de m’affranchir de l’apesanteur, de pouvoir décoller d’un champ ou d’un bout de plage et de découvrir la terre vue du ciel sans dépendre de qui que ce soit si ce n’est de Dame Météo !
Pour avoir testé un grand nombre d’aéronefs et de moyens divers et variés dans de nombreux domaines pour la photographie aérienne, je n’ai pas peur d’affirmer que le paramoteur est un des meilleurs «outils» existants. Bien sûr sa mise en œuvre n’est pas tous les jours aussi simple qu’il n’y paraît. Les conditions météo sont très impactantes et son domaine de vol est très limité. Et même les jours les plus calmes ne sont pas toujours synonymes de réussite : celui qui n’a jamais raté plusieurs décollages de suite au petit matin, lorsque le vent quasi imperceptible tourne sur lui-même, assimilant le gonflage de l’aile à une partie de roulette russe, lève le doigt. Une fois l’aile trempée et très alourdie car retombée deux ou trois fois dans l’herbe imbibée de la rosée matinale, le pilote fatigué de se trimballer 30 kg sur le dos commence à douter, lui aussi trempé de sueur car trop couvert (il s’était habillé pour le vol pas pour tester des départs répétitifs de 100 m haies). La plupart des pilotes normalement constitués lâcheront l’affaire après la 4ème tentative avortée. Cela m’est arrivé, j’ai interprété cela comme un signe : le ciel ne voulait pas de moi ce jour.
D’autres fois, c’est la météo un peu trop optimiste qui vous aura fait rêver d’un doux vol… Arrivé sur le terrain, la manche à air horizontale vous fera vite comprendre que le vent est bien trop fort pour envisager le moindre décollage en paramoteur. Nous n’aborderons pas les multiples tracas de nos petits moteurs. Non un moteur deux temps, ce n’est pas un Rotax. On rêve de machines les plus légères possibles, elles le deviennent mais sont de plus en plus sensibles, fragiles, voir susceptibles.
Une fois les bonnes conditions réunies (pilote en forme, météo adéquat, matériel vérifié) le paramoteur est parfaitement adapté à la prise de vue aérienne y compris professionnelle.
Le premier avantage est évidemment son coût d’exploitation très raisonnable. Rapporté à l’heure de vol, je pense qu’il est imbattable ! Transportable facilement à l’arrière d’un véhicule vous ne dépendez plus de personne et encore moins d’un pilote puisque c’est vous qui allez tout faire. Car oui, on peut piloter en sécurité et utiliser un boitier photo de qualité, le tenir à deux mains tout en continuant à maintenir altitude et trajectoire. La manipulation du matériel photo est presque aussi aisée qu’à terre à condition de prendre quelques précautions comme celle de sécuriser son appareil à l’aide d’un petit bout de suspente afin d’éviter de faire du largage involontaire. Question matériel photo, j’emmène toujours deux boitiers de type Reflex ou Hybride, deux objectifs, un 16-35 mm et un 70-200 mm et parfois un 300 mm en supplément. Le matériel est protégé par deux petites sacoches que je porte grâce à un harnais. Tout est rangé au déco et à l’atterrissage pour éviter de casser en cas de glissade à l’arrivée (ça arrive même aux meilleurs sur des terrains humides). Je vois régulièrement décoller des pilotes avec un reflex autour du cou sans protection… bonjour le boitier dans le nez en cas d’atterrissage un peu sport ! De plus les sacoches me laissent de la place pour emporter GPS, radio aéro, batteries de rechange, cartes mémoires, et même une ou deux petites Pom’potes pour les longues balades.
La vitesse limitée du paramoteur devient un sacré avantage quand il s’agit de photographier : Il est plus facile de cadrer proprement à 35 qu’à 90 km/h… On a le temps de composer, varier les angles, et même changer de boitier lors de l’approche d’un sujet (quelques vues au télé en approche, et d’autres au grand angle lorsqu’on est pile au-dessus). Question sécurité, et sous réserve de détenir une dérogation de vols rasants, on peut se permettre d’opérer à des hauteurs de vols « plus basses » et avec une marge de sécurité plus large qu’avec un pendulaire ou un trois axes. En cas de panne moteur et avec un terrain adapté sous les pieds, on est plus confort en paramoteur qu’avec n’importe quelle autre machine. Attention, je ne dis pas qu’il faut compter là-dessus et faire n’importe quoi. Une (belle) photo ne vaudra jamais une prise de risque inconsidérée et il faut toujours garder une marge de manœuvre bien supérieure à ce que l’on imagine. Bizarrement une fois le moteur coupé ça descends bien plus vite que tout ce qu’on a imaginé pendant que le moteur ronronnait.
Cet engin aérien m’a offert la liberté et la possibilité de redécouvrir ma région sous des angles inédits et avec une souplesse inégalée en toute indépendance. Avec un budget raisonnable j’ai pu réaliser des milliers de photographies aériennes, une dizaine de livres photos entre la Normandie et la Bretagne. J’ai pu voir les choses autrement, avec lenteur et en sécurité.
Ce que je retiens après 18 ans de vols paramoteur c’est que l’une des qualités principales d’un pilote (si ce n’est LA qualité principale) est de savoir renoncer face aux conditions douteuses, météo limite, moteur présentant des signes de faiblesses… ne pas céder à la tentation d’y aller quand même et regretter quelques minutes plus tard d’être en l’air. L’un des pièges est assurément celui de vouloir absolument ramener une image, surtout dans le cadre d’une commande professionnelle, et de s’arranger avec la sécurité. Le cône de sécurité est souvent sous-estimé, en particulier en bord de mer, la tentation de s’approcher plus près du sujet est un piège, il faut savoir quitter les yeux du viseur et conserver un regard général sur la situation et l’environnement extérieur.
Jérôme Houyvet
www.jeromehouyvet.com