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1000 km en ULM pendulaire électrique – partie 1

Après le déclenchement de la Guerre en Ukraine et l’invitation de deux jeunes pilotes ukrainiens à venir voler deux semaines dans notre club de vol à voile, Volodymyr, mon contact, m’avait invité l’été suivant dans son club près de Kyiv, en pensant qu’une année plus tard, la guerre serait finie. Naissait alors l’idée d’y aller en vol avec mon pendulaire électrique. Clin d’œil du destin, je ne savais pas alors que mon aile serait ukrainienne.

Objectif

Pour traverser la République tchèque, où se pose le problème de la langue, je contacte Marek Wolhard, instructeur ULM, paraplégique, qui avait suivi sur les réseaux sociaux l’aventure Handiflight autour du monde. Il se propose de contacter dans son pays les aérodromes où j‘ai prévu d’atterrir et sur place trouver un contact parlant anglais ou allemand. Rencontrer Marek devient alors mon 2ème objectif si l’espace aérien ukrainien était toujours interdit pour les raisons qu’on peut imaginer. 

Départ

À 7h00 ce samedi 15 juillet l’aérodrome de Gruyère (LSGT) est encore désert, il fait déjà chaud. Je suis seul, c’est un choix. Après un dernier tour du monde dont la responsabilité avait été très lourde à porter, je souhaitais absolument partir seul, responsable que de moi-même, c’est pour moi vital. Je sors du hangar mon compagnon de route qui n’a l’air d’attendre que ça, range sac de couchage et matelas dans ses ailes, fixe ma tente au siège, les bâches dans mon dos et attache mon petit sac à dos Breitling à l’arrière entre le moteur et le parachute. En verrouillant la porte du hangar je réalise que je ne referai pas ce geste avant plusieurs semaines, si tout va bien.  

Je fais tranquillement ma prévol, fixe la caméra 360° sur sa perche à la pointe de l’aile et l’enclenche. Je m’attache dans mon harnais de parapente et mets sous tension la batterie principale qui réveille les 2 autres. Le contrôleur démarre ses tests. Entre mes pieds, après quelques secondes, la console s’allume. Tous les paramètres sont dans le vert et mes batteries sont toutes les trois bien pleines (180 Ah).  

Mon tableau de bord

Il me reste à mettre en marche le vario-GPS, la radio et deux nouveaux appareils : la balise SPOT qui permettra à mes proches de me suivre (et si nécessaire de me retrouver) et, attaché à ma cuisse gauche, un mini Ipad dont le logiciel de navigation me permettra entre autres de suivre scrupuleusement les tours de piste car en intégrant les aérodromes, avec ma vitesse, je suis un peu comme un cycliste sur une autoroute. 

Au moment de mettre mon casque, à chaque vol, j’entre dans un autre monde. Même si je n’ai pas encore décollé je n’appartiens déjà plus complètement à celui des terriens. Ce mélange d’excitation, de concentration, de légère appréhension qui nous met en mode vigilance car voler n’est jamais banal, me procure chaque fois une émotion que j’ai de la peine à décrire mais que les aviateurs comprendront et que j’espère les pilotes n’ont pas oubliée. En avion je la ressentais plus tard, aligné sur la piste, au moment de mettre plein gaz. 

Même si je suis seul je m’annonce à la radio et gueule « attention hélice » en appuyant sur le bouton qui met sous tension le moteur. De la main droite je serre doucement la commande de puissance (qui ressemble à un frein de vélo) fixée sur la barre du trapèze et me mets immédiatement à rouler jusqu’au seuil de piste.

“Commandes libres – Harnais et casque attachés – Rapide mise en puissance maximum (16 kW) pour contrôler le moteur (2200 tours) – Températures moteur, batterie et contrôleur dans le vert – Attraper 3 fois la poignée du parachute de secours pour mémoriser le geste et contrôler que la goupille est bien enlevée – Visualisation des actions en cas de panne au décollage – Coup d’œil à la manche à air puis à l’approche”. Je m’annonce et m’aligne. Je suis toujours surpris par la simplicité et la rapidité de mise en œuvre qu’offre une motorisation électrique. Il ne s’est pas passé plus de 3 minutes entre le moment où j’ai bouclé mon harnais et celui où je m’aligne prêt au décollage. Pas de contrôle des magnétos, réchauffage carbu, ralenti, montée à la bonne température du moteur… etc.

C’est parti, je mets progressivement la pleine puissance. Avec chargeurs et bagages je suis 15 kg plus lourd que d’habitude. Je pousse légèrement en avant le trapèze et le laisse décoller. Avec ses 21 CV il se décide après 200 mètres. Je garde la pleine puissance jusqu’à l’altitude de sécurité en m’attendant, à l’entrée de la vallée, aux turbulences habituelles entre la montagne et la colline où est niché le village de Gruyère et son château.

Soudain mon vario saute de + 4 à -2 m/s (heureusement que ce n’est pas l’inverse). Ca commence bien. Le foehn annoncé dans les Alpes s’est levé plus tôt que prévu. Je reste face au vent en me faisant malmener comme je l’ai rarement été, surtout si tôt le matin. Arrivé à 300 m/sol je passe le réglage de la puissance à la console centrale, affiche 6,5 kW pour voler en palier et relâche la commande manuelle. Puis prudemment j’entame un large virage pour revenir en vent arrière et m’éloigner des montagnes. Plus loin sur le lac cela devrait se calmer. Et c’est le cas. Je peux enfin me détendre. Après de longues semaines de préparation et d’attente quel bonheur de retrouver ce sentiment de soulagement et d’exaltation qu’on connaît tous lorsqu’on réalise que, enfin, on est parti, le voyage peut commencer. 

Je longe le lac de Gruyère puis, après le barrage qui l’a créé, la Sarine qui sépare la partie francophone et germanophone de la Suisse. C’est la première fois que je quitte le local de Gruyère avec ma trapanelle. Je passe sur la fréquence d’Ecuvillens où je viendrai atterrir si le vent, actuellement légèrement contraire, ne me permettait pas de rejoindre Bellechasse à 50 km de là. Le GPS m’indique le nombre de km qui me reste jusqu’à ma destination et ma vitesse-sol. Je connais selon celle-ci la consommation par km (2,5Ah à 60 km/h + 0,5Ah pour chaque 10 km/h en moins). Connaissant les Ah qui me restent, un rapide calcul mental me permet de savoir si ça passe ou non.  

Tout va bien. 50’ après mon départ j’arrive en vue du terrain de vol à voile de Bellechasse sur les terres du pénitencier du même nom. Comme me l’a rappelé le chef de place j’évite soigneusement de survoler les bâtiments (pour ne pas donner des idées aux résidents ? ). En vent-arrière, comme d’habitude, je réduis la puissance au maximum ce qui arrête le moteur et, hélice en drapeau, je pose sur ce paisible champ d’aviation entouré d’autres champs cultivés par les « pénitents ». Il me reste 53Ah, je suis rassuré, malgré mes 15 kg supplémentaires, ma consommation a peu augmenté. 

Les vélivoles sont encore peu nombreux. L’un s’approche curieux et amusé. C’est la première fois qu’il voit un pendulaire et comme toujours pensait qu’ils étaient interdits en Suisse. J’essaye de retrouver mon allemand car dorénavant je vais en avoir besoin même si je ferai la radio en anglais. J’apporte batteries et chargeurs à l’atelier sous l’œil un peu inquiet du responsable, vite rassuré en voyant les caractéristiques de mes chargeurs (7A/420W) et leur origine allemande. Je plie mon aile et bâche mon chariot.

Cinq heures après, batteries rechargées je pourrais repartir mais il fait une chaleur caniculaire, les thermiques sont encore puissants et un orage est prévu en fin de journée. Je préfère attendre le lendemain matin. Comme il est interdit de camper sur le territoire du pénitencier je pars à pied pour le camping municipal distant de 45’. C’est soirée Paëlla au restaurant. Etrange de se retrouver seul au milieu des familles de touristes de toutes nationalités avec voiture, caravane et tente familiale. Je me sens un peu décalé mais heureux d’étrenner ma minuscule tente de 1 kg. 

Dans le prochain article je vous raconterai la suite de la traversée de mon pays que je redécouvre, émerveillé, grâce à ma faible vitesse et à une altitude idéale pour en apprécier toutes ses subtilités.

A bientôt et bons vols.