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1000 km en ULM pendulaire électrique – partie 2

Bellechasse – Langenthal

Aux aurores je quitte le camping municipal et à travers champs, rejoins l’aérodrome. Je prépare mon aile qui a bien supporté sa première nuit entrecoupée de quelques orages. Un garde du pénitencier en voiture fait sa tournée matinale. il me regarde bizarrement, puis s’en va sans m’adresser la parole. Je suis prêt à partir mais selon les consignes j’attends que le chef de place arrive pour décoller. Ma destination est l’aérodrome de Langenthal 54 km plus à l’Est. A perte de vue des champs cultivés. Nous sommes sur ce que l’on appelle le plateau suisse, une des seules régions à peu près plates de mon pays recouvert au 2/3 de montagnes. Au Sud la chaîne des Alpes, au Nord-Ouest celle du Jura et entre-deux le plateau. Les lacs y sont nombreux, les paysages bucoliques. J’écoute le trafic sur l’aérodrome de Bienne plus au Nord où je pourrais venir atterrir en cas de besoin. Mais tout va bien. Pas de vent au début puis un vent de face qui augmente jusqu’à 15 km/h en approchant de Langenthal. 

Au moment où je traverse l’Aar une odeur suave, agréable, que je ne connais pas, monte du sol (d’habitude c’est plutôt celle du lisier et du fumier). Je suis à la hauteur d’Aarberg et de sa sucrerie qui approvisionne tout le pays. Pour une fois pas de bouchons sur l’autoroute Berne-Zürich, on est dimanche, les voitures me dépassent. Je m’annonce 5 km avant d’arriver. Aucun trafic. Je prends la volte (nom donné chez nous au circuit d’aérodrome) du vol à voile et comme d’habitude atterris sans moteur mais cette fois sur une magnifique piste en dur. C’est une première avec mon pendulaire. Je m’amuse à suivre la ligne centrale de la taxiway et vais me parquer près des hangars du club de planeurs, déserts. Il va faire très chaud et les conditions ne sont pas propices au vol à voile. Deux Archaeopteryx attendent dans leur remorque. Dommage j’aurais bien voulu les voir voler. Je peux facilement mettre en charge mes batteries, radio, ipad, caméra, etc. au bureau C et vais boire mon premier cappucino au restaurant de l’aérodrome. 

Sur GoogleMap je repère un restaurant italien à 5 km. Dès mes batteries chargées, je m’y rends en auto-stop que j’ai beaucoup pratiqué il y a 50 ans. Je ne sais pas si c’est grâce à mes cheveux gris mais j’attends moins de 10’. Un couple de jeunes s’arrête. Surpris ils me demandent ce que je fais seul au bord de cette route, en pensant que j’étais en panne. Je leur dis d’où je viens mais pas où je vais, seulement que j‘essaye de traverser notre pays avec un delta à moteur électrique. Le restaurant loue quelques chambres. J’hésite un peu puis me laisse tenter car je sais que je n’aurais pas cette chance lors des trois prochaines étapes et une bonne douche me ferait du bien.

Après une excellente nuit et le privilège pour une fois de pouvoir savourer un bon café avant de décoller, je rejoins à pied l’aérodrome par de petits chemins champêtres. Le temps est nuageux, parfois le soleil arrive à se faufiler entre les nuages, la lumière est magnifique, un chevreuil s’enfuit, les oiseaux chantent, les abeilles sont déjà au travail et dans peu de temps je serai en l’air. Que demander de plus ? Ce sont ces moments que je recherche en voyageant seul. Se retrouver dans des endroits inconnus où je ne reviendrai vraisemblablement jamais. Ne pas savoir où je serai et qui je rencontrerai dans les heures et jours qui suivent. Être libre de changer mes plans, de partir ou rester sans me préoccuper de qui que ce soit. Pas besoin de prendre une année sabbatique et partir au bout du monde pour goûter à cette liberté, il faut juste, de temps en temps, « prendre » son temps, ralentir. 

Langenthal – Buttwil

Je retrouve avec plaisir mon pendulaire, déplie ses ailes et étends les bâches au soleil qui essaye de percer les nuages. Comme d’habitude je suis le premier à décoller. Un magnifique Piper Cub me rejoint en bout de piste. Je le contacte pour m’assurer que ma radio fonctionne mais il ne répond pas, concentré sur son run-up. 

Je m’aligne et décolle en savourant le confort de cette magnifique piste goudronnée. J’évite scrupuleusement les zones de protection contre le bruit car à pleine puissance mon hélice n’est pas silencieuse et de toute façon les riverains n’aiment pas être survolés (;-). Je mets à nouveau cap à l’Est. Le petit aérodrome privé de Buttwil se trouve à 45 km. Je passe au large de l’aérodrome de Triengen encore endormi puis passe entre les lacs de Hallwil et Baldegg dont j’ignorais l’existence. Je vole à 300 m/sol, bien en-dessous des TMA. La campagne est magnifique et malgré le survol de quelques collines que nos amis québécois appelleraient montagnes, aucune turbulence sauf en finale sur la forêt bordant la piste construite sur les flancs d’une colline. Cette fois je dois prolonger ma finale au moteur pour éviter de poser sur le premier tiers de la piste en travaux. 

Je vais me parquer en bout de piste loin de la zone d’entraînement de l’école hélico, plie mon aile et amène ma première batterie au bureau C à 500 mètres. Lorsque je demande où charger mes batteries, on commence par me faire une remarque en dialecte dont je comprends que, sa référence à la centrale nucléaire de Mühleberg fermée en 2019, est visiblement un reproche (encore un qui pense que je vole à l’électrique pour des raisons écologiques alors qu’il y a tellement d’autres avantages). Je lui réponds que chez moi je recharge mes batteries au solaire et comme il me fait remarquer le prix, je lui réponds qu’il peut gagner de l’argent sans aucun investissement en louant les toits des hangars. Il maugrée une réponse que je ne comprends pas et pour parfaire l’accueil, le restaurant est fermé. 

Après avoir mis en charge mes deux autres batteries je descends à pied à Buttwil. Comme il n’y a plus aucun restaurant dans ce petit village je continue en stop jusqu’à la charmante petite ville de Muri. Et c’est au restaurant d’un supermarché que finalement je déjeune peu avant midi. Je profite de faire quelques courses pour le repas du soir puis retour à l’aérodrome toujours en stop. Je ne comprends pas pourquoi ce sympathique moyen de déplacement, complémentaire au covoiturage, n’est pas plus utilisé. Il est rare que j’aie attendu plus de 10’. Mes batteries sont rechargées. Mon interlocuteur électro-sceptique du matin s’en va. Je prépare mon campement pour la nuit en profitant des derniers rayons de soleil et pique-nique : viande séchée des grisons, pain et chocolat (on est suisse ou on ne l’est pas). 

Il a fait très chaud toute la journée et j’ai dû souvent aller remplir ma bouteille d’eau aux toilettes de l’aérodrome. Lorsque je vais me laver les dents je remarque un avis sur le miroir : « Eau non potable ». C’est bien la première fois que dans mon pays je trouve de l’eau non buvable au robinet. Cela me vaudra d’être barbouillé quelques jours. Heureusement j’ai ce qu’il faut pour refaire ma flore intestinale, même si je ne pensais pas l’utiliser si tôt.

Je savoure le plaisir de dormir pour la première fois à côté de mon compagnon de voyage et me réveille avec un magnifique lever de soleil. Alors que je déplie mon aile, un jeune avec un vieux sidecar s’arrête et me demande s’il peut s’approcher. Il est intrigué par mon engin et sa motorisation. Entrain de terminer des études en sociologie, il est passionné de vieilles motos et se sent très concerné par les défis écologiques qui nous attendent (ce n’est pas contradictoire). Il m’avoue être inquiet et pessimiste et me demande si je le suis aussi. S’en suit une longue conversation (qui n’a pas sa place ici).

J’espère lui avoir donné quelques pistes pour combattre les prophéties de malheur des marchands de peur et surtout agir. Je lui conseille aussi de prendre le temps de voyager à la fin de ses études pour confronter ce qu’il aura appris aux réalités de notre monde. Mon aile est prête. Je lui offre un café au distributeur de l’aérodrome et décolle heureux de cette rencontre improbable qui me fait oublier celle du jour précédent.

Dans le prochain article je vous raconterai la fin de la traversée de mon petit pays, la rencontre d’un vieil ami perdu de vue avec lequel je partage quelques pénibles souvenirs de voyage, et après la traversée du lac de Constance, le premier clin d’œil de mon ange gardien. 

A bientôt et bons vols.