Buttwil – Wangen-Lachen
Dès le seuil de piste passé et mon nouvel ami fan de motos anciennes salué, j’évite le village de Buttwil puis cap à l’Est. Vingt minutes plus tard je survole l’aérodrome de Hausen-am-Albis mon aérodrome de dégagement, encore désert. Je ne me lasse pas du plaisir de pouvoir voler bas en ayant le temps de découvrir la campagne que je survole silencieusement avec mon tapis volant. A 300 m/sol en croisière, difficile de m’entendre depuis le sol, même pas besoin d’éviter les villages. L’air est calme. Heureusement car c’est une étape de près de 54 km et l’atterrissage à Wangen-Lachen est particulier. La volte (circuit) de l’aérodrome, au bord du lac de Zurich, est entièrement sur l’eau et la finale, au milieu des oies et des canards, spectaculaire.
Deux avions font des tours de piste. Je m’insère en vent arrière et attends de repérer celui en finale pour être sûr de ne pas lui couper la route. Je ne le vois pas. Au moment où j’allais lui demander sa position il annonce un touch-and-go. Je tourne immédiatement en base puis en finale en me demandant si pour faire des tours de piste les locaux portent des gilets de sauvetage car la base est vraiment loin de la piste et en cas de panne moteur l’amerrissage est garanti. Ça fait longtemps que je n’ai pas fait une finale au moteur, au moins les oiseaux m’entendront arriver.
L’accueil est moins charmant que l’approche. Personne ne répond à mon “gruezi mitenand”. Je branche mes chargeurs au bureau C dans l’indifférence générale et après avoir payé mes taxes d’atterrissage et de parking, lorsque je demande si je peux dormir près de mon pendulaire, c’est un non catégorique, interdit selon la loi cantonale. On me conseille le parc public un peu plus loin en sachant que la loi est la même, et pour couronner le tout, le restaurant est à nouveau fermé. Aucune chambre de libre à des kilomètres à la ronde ma décision est vite prise, je vais aller visiter Lachen, petite ville touristique à 30 minutes à pied, et je reviendrais lorsqu’il fera nuit planter ma tente à côté de mon aile. Ni vu ni connu je décollerai le lendemain avant l’arrivée des premiers pilotes. Comme bien sûr les toilettes sont fermées j’ai mon sac à crottes pour chien qui fait parfaitement l’affaire pour ne laisser aucune trace de mon passage.
Wangen-Lachen – Schänis
Je décolle toujours en direction de l’Est. Le ciel est couvert. Le vent est fort et déjà turbulent et lorsque je m’engage dans la vallée pour rejoindre au Nord Sitterdorf, je réalise très vite qu’il faut renoncer et aller poser à Schänis, mon aérodrome de dégagement. Terrain principalement de vol à voile l’accueil y est très différent des deux aérodromes précédents. Immédiatement on me propose une place dans un hangar et la possibilité de camper avec accès aux douches et toilettes. En plus le restaurant est ouvert, j’en profite pour m’offrir enfin un copieux petit-déjeuner.
Trois jeunes élèves sont en camp d’entraînement dont une ukrainienne, évidemment intriguée par mon aile aux couleurs de son pays. Lorsque je leur apprends mon intention de voler aussi loin que possible en direction de l‘Est, je les sens dubitatifs mais aussi, me semble-t-il, un peu envieux.
Schänis – Sitterdorf
Le lendemain le vent est nettement moins fort dans la vallée qui remonte vers Sitterdorf près du lac de Constance. A part une petite averse de pluie peu avant l’atterrissage, tout se passe bien. J‘y ai rendez-vous avec Jürg un ami qui habite la région et que je n‘ai pas revu depuis 40 ans lorsque fromager il était coopérant pour une ONG suisse au Guatemala alors en pleine guerre civile. Le mois passé dans ce pays où l’on pouvait être arrêté, torturé et disparaître sans raison, me fera toute ma vie apprécier viscéralement la chance de vivre dans un pays où l’état de droit est respecté. Aujourd’hui j’ai une pensée toute particulière pour le peuple iranien, russe et tant d’autres, de plus en plus, qui n’ont pas cette chance. C’est certainement aussi pour cette raison que je me sens si concerné par la guerre en Ukraine.
Aujourd’hui je profite de l’hospitalité de Jürg pour prendre un jour off. Depuis mon départ j’ai volé tous les jours et un peu de repos, de confort et la compagnie de Jürg et de sa femme me font du bien. D’autant plus qu’il me faut trouver un gilet de sauvetage. En effet le chef instructeur de Sitterdorf m’ayant confirmé qu’en Allemagne, venant de Suisse, il n’est désormais plus obligatoire d’atterrir sur un aérodrome douanier, cela me permet d’aller directement à Wildberg, un petit champ d’aviation au Nord de Lindau de l’autre côté du lac de Constance. Pour y arriver deux possibilités : faire le tour du lac ou le traverser directement.
Sitterdorf – Wildberg
Lors d’une prise de risque, j’ai appris, dans mes précédents voyages, à quel point il est important de faire abstraction de ses émotions pour prendre une décision. Même si l’eau n’est pas mon élément préféré, j’estime rapidement que faire le tour du lac par Bregenz, région densément peuplée coincée entre lac et montagne, sans aucune autre possibilité que d’amerrir en cas de panne et à la limite de mon autonomie, est plus risqué que de traverser directement le lac en étant bien préparé et équipé. Je vais donc acheter un gilet de sauvetage chez un ami de Jürg et décide de ne pas attacher les cuissardes de mon harnais pour être prêt si nécessaire à sauter à l’eau avant que mon chariot ne coule (pas besoin d’entre-ouvrir la porte avant l’amerrissage pour éviter qu’elle ne se bloque au moment du crash ;-).
Un des clichés de la Suisse est sa propreté. Cette affichette dans les toilettes de l’aérodrome nous prouve que, quoi qu’on en dise, nos amis germaniques ne sont pas dénués d’humour.
Après être ressorti des toilettes jamais aussi bien coiffé, je dépose mon plan de vol pour le passage de la frontière, et comme d’habitude envoie un WhatsApp à mes proches (sans les avertir de mon itinéraire qu’ils découvriront online :-).
Je décolle sous un ciel chargé mais plus dégagé en direction du lac, survole la fabrique de fromages de Jürg et arrive au bord du lac. Même si je suis persuadé d’avoir pris la bonne décision, la rive allemande me paraît bien loin. Mais je suis confiant, depuis 2 ans que je vole « à l’électrique » je n’ai jamais eu la moindre panne. Mon moteur fonctionne comme une horloge suisse, ce serait vraiment pas de chance qu’il me lâche maintenant. Je contacte Zürich-Info pour annoncer mon passage de la frontière, mais à 300 m/sol ils m’entendent difficilement. Je dois être le premier pendulaire, surtout électrique, à traverser ce lac. Je demande aux avions que j’entends distinctement sur la fréquence de relayer mon annonce, sans succès. La lumière est magnifique, la surface du lac un véritable miroir, quelques bateaux de plaisance dessinent un V parfait dans leur sillage. Je me réjouis de revoir les images de ma caméra 360°.
Un quart d’heure plus tard j’arrive de l’autre côté du lac, tout de même soulagé. Le reste du vol se passe sans problème et j’atterris après 45’ de vol sur le petit champ d’aviation de Wildberg réputé pour son excellent restaurant italien. Sitôt posé je clôture mon plan de vol et envoie un WhatsApp à mes proches. Lorsque, impatient de les voir, je veux transférer les images de ma caméra vers mon disque SSD, je m’aperçois qu’elle s’est arrêtée peu de temps avant de traverser le lac. Après quelques secondes de surprise je me surprends à sourire en pensant que cela doit être un clin d’œil de mon ange gardien qui me fait gentiment remarquer que mieux vaut une panne de caméra que de moteur. Je suis rassuré de savoir que lui, n’a pas encore pris sa retraite.
Dans le prochain article je vous raconterai ma traversée de l’Allemagne, les beautés de la Bavière, un record de vitesse et quelques atterrissages sur des aérodromes surprenants.
A bientôt et bons vols