Sonnen – Frymburk (République Tchèque)
Après un départ sportif le reste du vol se passe bien. La frontière autrichienne est rapidement traversée puis, après une demi-heure, celle de la République tchèque ainsi que le lac artificiel du barrage de Lipno.
L’aérodrome de Frymburk est perdu sur une colline boisée au milieu d’une clairière. Je suis prévenu que les infrastructures sont basiques, il n’y a pas d’électricité et il faudra me débrouiller seul. Je survole l’aérodrome en cherchant la manche à air. Il n’y en a pas. Je choisis la piste en fonction de ma vitesse en vent arrière et atterris tant bien que mal sur une piste rudimentaire.
Après avoir replié mon aile, je pars à pied en direction du village à 6 km. Rapidement un jeune sympa me prend en stop, parapentiste il m’apprend que la région est un spot renommé. Après avoir sorti de l’argent tchèque je me mets à la recherche d’un logement pour pouvoir recharger mes batteries. Mais on est le weekend en pleine période de vacances, tout est complet dans cette petite station touristique. Finalement, grâce à ma minuscule tente, en insistant, on m’accepte dans un camping. Je repère un père de famille désoeuvré et lui explique mon problème. Tout d’abord surpris, puis curieux, il accepte de m’accompagner en voiture chercher mes batteries à l’aérodrome et le soir m’invitera à un barbecue avec sa famille et quelques amis. Coup de chance, pêcheur passionné donc lève-tôt, le lendemain il me proposera de me ramener à la première heure à l’aérodrome.
Frymburk – Kramolin
Ma prochaine étape est Kramolin 50 km plus à l’Est. Grâce à Marek, le responsable de l’aérodrome m’attend. Vojtech m’emmène chez un copain qui a une pension et où je vais pouvoir recharger mes batteries. C’est dimanche tout est fermé. Il négocie avec des voisins que je me joigne à eux pour partager leur repas. Je découvre la Tchéquie profonde et même si je n’ai rien mangé depuis le matin, le repas a de la peine à passer. Je mettrais deux jours à le digérer et décide de continuer dès le lendemain pour Dobersberg en Autriche.
Kramolin – Dobersberg (Autriche)
Le lendemain matin il commence à pleuviner lorsque je me prépare, mais en direction de l’Est le soleil n’est pas loin. Je décolle sous un ciel qui restera chargé jusqu’en Autriche. J’apprécie encore une fois de pouvoir traverser les frontières d’Europe sans aucune formalité. J’atterris à Dobersberg, un magnifique terrain de vol à voile, aujourd’hui désert vu la météo. En fin de matinée un pilote arrive au local C et me propose un hangar où je peux à la fois recharger mes batteries et mettre mon aile à l’abri pour la nuit. J’emprunte un vélo, part au village à la recherche d’une chambre et de quoi me restaurer car comme d’habitude je n’ai que quelques amandes et fruits secs dans l’estomac (ma réserve de chocolat est épuisée) . Ma prochaine étape de près de 60 km nécessite que je n’aie aucun vent de face. La chance me sourit deux jours plus tard.
Dobersberg – Znojmo
Après avoir calculé mon point de non-retour qui se situera par hasard à la frontière tchèque, je décolle, cette fois sous un ciel bien dégagé. L’atmosphère est calme. Je calcule régulièrement ma consommation et la distance qui me reste. Tout va bien.
A nouveau en Tchéquie, j’admire la disposition particulière des villages que je survole incognito à basse altitude. Avant d’arriver à Znojmo je vais devoir survoler une grande zone de forêt protégée. Je repère les clairières utilisables en cas de besoin. Puis heureux d’avoir effectué une de mes dernières longues étapes j’atterris à Znojmo. J’avais essayé de contacter sans succès le chef de place les jours précédents, j’apprends qu’il est décédé de manière subite la semaine précédente.
Znojmo est une agréable petite ville de Moravie du Sud. Elle est connue pour ses vins et ses plantations de fruits et de concombres. Le centre-ville touristique est bien préservé mais d’autres importants bâtiments historiques attendent vraisemblablement quelques subventions pour être réhabilités. Je profite d’une petite pension pour me reposer car la canicule a gagné l’Est de l’Europe. La fatigue commence à se faire sentir, les paysages deviennent plus rébarbatifs et l’idée de m’arrêter après ma rencontre avec Marek fait son chemin. Le ciel de l’Ukraine est toujours interdit et celui de Pologne passablement occupé par les forces aériennes de l’OTAN.
Znojmo – Miroslav
Miroslav n’est qu’à 25 km au Nord de Znojmo. Heureusement car le vent est contraire et je mets plus d’une demi-heure pour y arriver. C’est une petite ville sans charme particulier. Mais il est intéressant de sentir l’atmosphère de ces localités plus représentatives que celles, touristiques, que l’on visite généralement. Je trouve une petite chambre pour routier dans une station service à l’entrée de la ville. Vratislav, le contact que m’a trouvé Marek à Velke Pavlovice, ma prochaine destination, m’apprend que je vais arriver la veille de la fête annuelle des costumes de cette région viticole. Je décide d’y rester un jour de plus que prévu pour profiter de cette chance.
Miroslav – Velke Pavlovice
Je ne sais pas trop pourquoi mais cette photo de la route que j’emprunte à l’aube pour me rendre à pied à l’aérodrome symbolise le sentiment de liberté que je cherchais dans ce voyage. Je souhaitais partir seul et je réalise chaque jour à quel point ce choix était important pour moi après la responsabilité et la charge émotionnelle du projet Handiflight autour du monde. Il fait déjà très chaud. Je décide de voler en short, pas très photogénique mais combien agréable.
L’air est très calme. Après avoir longé plusieurs grands lacs, j’atterris à Velke Pavlovice, magnifique piste depuis en haut, mais très bosselée une fois posé.
La fête des costumes de Velke Pavlovice
Vratislav ne rentrera de weekend que le lendemain mais il a demandé à un ami de venir me chercher et de m’amener avec mes batteries à une pension qu’il a réservée. L’après-midi la fête commence, tout le village y participe. On est au cœur d’une région viticole. Le vin coule à flots, les femmes ne sont pas en reste, mais malgré la canicule, les excès sont étonnamment rares.
Le lendemain la fête continue, les femmes ont changé de costumes. Vratislav me fait déguster une bonne douzaine de vins de la région avant de m’inviter chez lui où sa femme nous a préparé une copieuse collation, bienvenue pour atténuer (un peu) les effets de l’alcool.
Velke Pavlovice – Kyjov
Le lendemain je prends congé de Vratislav et décolle en direction de Kyjov à seulement 30’ de vol. Un vol sans histoire sur des vignobles à perte de vue. A l’arrivée l’aérodrome est tellement grand qu’il est facile de confondre les taxiways avec les pistes. Vladimir m’attend mais me quitte rapidement pour faire voler quelques enfants.
Il fait à nouveau une chaleur étouffante. Ma décision est prise. Mon voyage s’arrêtera là. Marek me rejoint une heure plus tard et en fin de journée me fait découvrir en vol sa région.
Quelques mois seulement après un accident de parapente qui le laisse paraplégique, Marek décide de revoler, se met à la recherche d’un ULM, trouve un Tecnam P92, l’équipe d’un malonnier, apprends à le piloter puis quelques années plus tard devient instructeur ULM 3 axes. Il forme maintenant d’autres pilotes en situation de handicap au sein de son association Aves Bohemica.
Quelques jours avant mon arrivée il a traversé son pays puis la Pologne et atterri en Lituanie après un vol non stop de 970 km en 6 heures grâce à un réservoir supplémentaire de sa conception.
A Mažeikiaien (EYMA) en Lituanie il refait les pleins, dort sous tente et le lendemain reprend la route en sens inverse. Il aura parcouru près de 2000 km en 48 heures. Lorsqu’on connait les difficultés auxquels une personne paraplégique doit faire face dans sa vie quotidienne, on ne peut qu’être admiratif devant une telle passion et une pareille détermination à retrouver le plaisir de voler après un accident qui aurait dû le clouer au sol.
Je vais rester deux jours chez lui et sa sympathique épouse Paola, physiothérapeute. Ils me font découvrir leur charmante ville, Kromeritz, ainsi que dans la région un des plus intéressants parc zoologique que j’aie eu l’occasion de visiter.
Puis je prends le train pour venir chercher en Suisse ma voiture (évidemment électrique) et après quelques jours de repos (et une bonne fondue) je refais le trajet en sens inverse en ne faisant que trois arrêts (aux bornes de recharge). Après avoir démonté mon chariot pour le caser dans ma voiture (qui n’est pas bien grande) et fixé solidement mon aile sur le toit, je rejoins en moins d’une journée mes montagnes et retrouve avec plaisir mes voisines.
Epilogue – Eloge de la simplicité et de la lenteur
Que retenir de ces 1000 km en 40 jours dont 21 de vol ? – Tout d’abord l’exceptionnelle fiabilité de tous les éléments de ma motorisation (moteur, contrôleur, batteries et chargeurs) due à sa simplicité mais aussi au sérieux et à l’expérience de son concepteur. Soigneusement hangarée j’avais pu l’apprécier depuis longtemps mais pas en voyage où la plupart du temps pliée ma brave trapanelle restait dehors seulement protégée par une bâche.
Ne pas devoir s’encombrer de divers outils, pièces de rechange et consommables est aussi un avantage appréciable, de même qu’il est plus facile de trouver une prise 230V que de l’essence, et pas besoin de s’inquiéter de la qualité, sans parler du prix.
Sa fiabilité et aussi sa discrétion permettant de voler à une altitude idéale (entre 150 et 300 m/sol) pour admirer l’exceptionnelle diversité de notre continent, à une vitesse (60 km/h) qui devient un avantage, nous ouvre un nouvel « usage du ciel » absolument passionnant.
Bien évidemment la météo nous empêche parfois de voler mais d’abord celle-ci est plus facile à prévoir sur 60 km que sur 600 et de toute manière nous savons bien que :
« Prendre son temps est le meilleur moyen de ne pas en perdre »
Nicolas Bouvier, écrivain voyageur
Bons vols à toutes et à tous.