Beyond Prut River

Jérôme Prompsy, mon leader préféré, me propose, comme tous les ans, un p’tit voyage vers l’Est. Sa patience est mise à rude épreuve et, ne supportant plus les chicaneurs administratifs, il jette rapidement l’éponge sur notre percée prévue vers la Georgie. Comme la Bulgarie et la Roumanie sont passées dans l’espace Schengen depuis le 1er avril, cette facilité nous y entraine. Il intitule notre voyage « Beyond Prut River », soit « Au-delà de la rivière Prut », cette fameuse rivière qui sert de frontière entre la Roumanie et la Moldavie.

La météo, pour le moins pas terrible, rebelle au plus haut point ma Za. Je la calme illico, en lui glissant entre les doigts un billet gros porteur pour Sofia.

Mon autogire M22 et moi seul dessus donc, décollons de mon petit chemin vendéen, bordant ma piste sous les eaux, le dimanche 28 avril 2024. Ravitaillement rapide à Levroux, où Enguerrand aura la gentillesse de m’envoyer une multitude de photos de qualité  de mon décollage. Jérôme, en provenance de Montauban, et moi profitons de la pompe en bout de piste de Dijon-Darois. Sachant que si nous ne passons pas en Allemagne ce soir, nous risquons fortement d’être bloqués, nous décidons de forcer. Très vite, la pluie nous enveloppe et la subissons pendant 100 bornes. Les sommets des Vosges et de la forêt noire enneigés rayonnent de quelques rares flashes ensoleillés splendides. Villingen et son hôtel en bordure de piste nous réconfortent de cette rude et longue journée.

Cap à l’Est

château royal d’Herrenchiemsee

La dépression passée, l’Allemagne défile sous un ciel tout à fait correct qui nous permet d’admirer le château royal d’Herrenchiemsee, construit par Louis II de Bavière qui a eu la prétention de copier notre château de Versailles, ce fou ! Un peu de 98 à la pompe de Ried, nous permet de traverser rapidement l’Autriche et de nous poser en Hongrie à Fertöszentmiklos, à deux pas de cette somptueuse ville de Sopron. Le vieil hôtel très vintage me permettra de dormir sur mes deux vieilles oreilles.

Lac de Chiemsee – Frontière Autrichienne

Siofok sur le bord du lac Balaton, nous abreuve et déjà en Roumanie, la petite piste de Siria nous ouvre grandement les bras. Club ULM super actif et pris en main par son responsable. Cet escogriffe avec une tête à la Taras Boulba, ne cesse de nous offrir à boire et à manger. Des pilotes font ronronner leurs motos sur la piste à grand coup d’accélérateur, pendant que paramoteurs et pendulaires leur passent en rase motte au ras des moustaches. Une très jolie jeune femme, au corps bien fait, mais recouvert à 80 % de tatouage, attire notre regard. Les deux lance-roquettes dans ses deux yeux transparents métalliques nous interdisent la moindre approche.

Le lendemain, Tarass Bouba est déjà au travail et, avec une pelle, tourne inlassablement dans un grand faitout, un gigantesque ragout de pied et oreille de cochon. Il souhaite absolument nous garder pour y gouter :

« De toute façon, vous ne passerez pas les Carpates. 80km/h et pluies sont annoncés…« 

Au vu du plat pas ragoutant du tout, nous sommes très motivés pour y aller voir…et puis, nous savons qu’effectivement, si nous ne passons pas aujourd’hui, nous risquons de ne pas honorer notre rendez vous de Sofia. Finalement, à part quelques turbulences un peu sévères, les grandioses Carpates nous accordent le passage. Le responsable de Drobeta, proche du Danube, nous attend sur la piste avec sa cuve de 85. Autant vous dire que la rotation est rapide. En approche de Sofia, situé dans une cuvette entourée de montagnes accrochées par de méchants nuages, le contrôleur ne nous lâche pas. Non pas par excès de zèle, mais pour nous conseiller la meilleure route. La tête dans les nuages, les pieds touchant le dernier col et les fesses très serrées, nous le passons de justesse. La tour nous accorde la verticale de l’aéroport international où nos dulcinées doivent atterrir après demain, et nous posons à Lesnovo.  De fait, pendant trois jours, nous n’aurions pas pu voler. Nous déambulons sous la pluie et le froid, dans cette grande ville aux grands bâtiments, un tantinet soviétique. Vendredi, nous prenons le métro pour accueillir à l’aéroport, Chérifa, la chérie de Jérôme et ma vieille Za, avec qui je suis accolé depuis…55 ans ! si si !

Pendant ce temps, Pascal, qui a un pied à Paris et un pied en Dordogne, a enfourché un autogire chez Mustapha, à l’ouest d’Istanbul. Celui-ci avait déjà voyagé avec nous l’année dernière. Ils nous rejoignent pour visiter avec nous la capitale… dans une voiture de location, car bloqués à Plovdiv, à 100 bornes de là.  Nous avons loué un appartement confortable et l’ambiance, malgré la pluie et le froid perçant, est chaleureuse.  

Le temps enfin correct du dimanche, nous permet de rejoindre les autogires de nos amis et de visiter le centre historique de Plovdiv et son théâtre romain. Comparativement à l’Autriche et le nord de la Roumanie, où nous avions admiré des petits champs avec de nombreuses fermes fortifiées, ici ce ne sont que de gigantesques plaines, avec bizarrement l’absence de bâtiments agricoles. A Sunny Beach, je me jette dans la Mer Noire et en ressors très rapidement, car elle est aussi froide qu’à l’ile d’Yeu. Je m’y rejette à Tuzla, en Roumanie et la trouve aussi froide qu’en Bulgarie. 

A Bucarest, Nous visitons un autre château d’un autre roi fou, Ceausescu et son palais complètement frappadingue. Cherifa reprend l’avion pour s’occuper de sa progéniture et éventuellement bosser. 

Le sympathique Albert possède une plateforme située à 10km de l’Ukraine et de la Moldavie.

Mustapha déclare subitement à Pascal, que sa femme vient de lui réserver un voyage à Sharm El Sheikh et qu’il est obligé de rentrer. Contraints et forcés, les voilà repartis tous les deux. Ils se posent dans le détroit du Danube où là, le prélanceur du Calidus de Mustapha tombe en panne. Ils repartent tous les deux dans l’Eclipse et se posent très bien sur l’aéroport de Burgas en Bulgarie. Ils roulent tranquillement, quand une jambe de train lâche. Cul par-dessus tête et arrosés copieusement de neige carbonique par les pompiers, ils sont obligés de casser la verrière pour en sortir. Triste fin de raid pour eux. 

La Moldavie

Chez Albert, je rencontre un pilote moldave parlant un peu français et je peux enfin m’exprimer car, comme chacun sait, je refuse de m’exprimer dans une autre langue (n’en connaissant pas d’autres). Ne possédant pas les autorisations de survol, Georges nous invite en Moldavie pour visiter sa ville de Cahul et franchissons enfin la Prut River. Pendant ces deux jours merveilleux, Il nous prend en charge totalement et nous ne pourrons dépenser un sou. Georges tient à nous véhiculer dans sa ville dans un petit train d’enfants géré par sa femme. Trois glands atteints de jeunisme supportent en riant jaune. Il nous invite à déjeuner et ne cesse de nous présenter à tout le monde comme « ses bons amis français ». En prenant sa fonction de directeur de théâtre, que nous visitons, il a commencé par virer tous les acteurs russes qu’il exècre. Conviés à diner, avec sa femme et ses deux filles, il nous inonde de plats de crevettes et nous loge dans un appartement tout à fait correct au sommet d’un immeuble soviétique totalement déglingué. 

« Je vais vous reconduire chez Albert, mais je souhaite que vous assistiez à une représentation que je dois effectuer, avec trois de mes acteurs, pour fêter les 540 ans de Giurgiulesti« 

Cette petite ville en fête, située à 5km de l’Ukraine est bordée par le Danube. Georges, tel tintin dans le sceptre d’Ottokar, chapeauté d’une grande toque, souffle dans une trompette de 5 mètres de long, qui annonce la venue du roi et de sa jolie jeune reine qui déclame l’autonomie de sa ville. 

Nous récupérons un sac de Pascal à Sarinasuf , dans le delta du Danube, revenons chez Albert, et repartons illico pour Brasov. Cette ville superbe est coincée dans un pli des Carpates et chapeautée de montagnes enneigées. 

Après le survol obligatoire du château de Dracula (que j’avais déjà survolé en 2004 au cour du raid organisé par Bruno Picot), un pilote de la très jolie piste de Târgu-Jiu nous conduit dans son hôtel au volant de sa grosse BMW. Dans la ville, une pluie de grêlons nous donne le temps de mastiquer une pizza.

Le retour

La boucle Bulgarie-Roumanie se termine à Sofia. Après un petit vol avec la fille de mon compère et de son copain, nous démarrons notre retour. Comme à l’aller, le proprio de Drobeta, nous attend sur la piste la pompe à la main. Je me demande même s’il n’est pas resté là depuis dix sept jours à nous attendre !Dans les Carpates, je suis arc-bouté sur mon manche, en tenant à deux mains cet appendice coincé entre mes jambes qui tressaute fortement de bas en haut et de haut en bas, quand ma Za me hurle dans les oreilles :

« Henry, les pales vont casser…je te dis que les pales vont casser !« 

Heureusement, ce phénomène hyper violent n’a duré que quelques minutes, mais j’avoue que je n’avais jamais connu de turbulences aussi brutales et n’étais pas loin de penser que la prévision de la Za allait se réaliser.  

Szeged, en Hongrie, est en pleine fête du vin. Un petit verre à droite en écoutant un orchestre de rock, puis un petit verre à gauche qui joue et chante les Beatles. Je suis terriblement vexé par la Za qui me refuse de danser sur l’air, très entrainant, de « Obladi oblada ». 

Nous transitons par le nord de la Croatie et ravitaillons à Zabok, sur une petite piste en herbe merdique où un pauvre vieux planeur se fait treuiller. Ils nous taxent de 50€ par appareil. La très jolie Slovénie vallonnée est avalée d’est en ouest et longeons la côte adriatique à partir de Trieste. Caposile et son gazon anglais sont les témoins de discussions forcenées entre les 3 voyageurs. La Za veut revoir Venise et le Montalbanais, surtout pas. J’essaye de transiger. Certes je comprends Jérôme qui refuse tout net la place Saint Marc et ses milliers de touristes polluants, mais je me dois de défendre ma femme si je veux une nuit calme. Je finis par lui proposer :

« Tu choisis ton île et nous y passons une heure demain matin« 

Il finit par céder et après un quart d’heure de vol, nous bravons le Lido en auto-info car le contrôleur doit être dans son lit depuis un moment. Un plongeon dans l’adriatique à la tombée de la nuit entre hommes, pendant que Madame se fait belle et le diner sur le trait de côte bien arrosé remet notre groupe en joie.

Le vaporetto entre le Lido et le quartier Dorsoduro, de l’autre côté du grand canal, choisi par notre ami est déjà un enchantement. Nous avons droit à une heure et quart et pas une minute de plus. Pendant que notre leader visite le musée François Pinault, nous préférons nous perdre dans les ruelles calmes bordées de canaux et rendre grâce dans la Basilique S. Maria della Salute. Les touristes sont horrifiés de me voir hurler et injurier ma femme restée sur le quai. La densité de ces bus flottants, nous permettra de la récupérer rapidement. 

La plaine du Pô défile et nous passons la nuit dans un agroturismo aux pieds des Alpes. 

Au vu de la crasse sur celles-ci, la route vers Gap prévue est vite abandonnée pour la route côtière. Jérôme propose à la Za une bouée de sauvetage qui la refuse aussitôt en s’exclamant :

« je préfère me noyer avec mon mari !« 

Et pourtant la mer, nous la survolons longtemps, car si nous la longeons proche du côté de San Remo et Menton, nous sommes contraints de nous en éloigner pour passer devant Monaco et surtout Nice. Le contrôle nous accorde le passage mais à 8km de l’aéroport et 500 pieds max. Après Saint-Tropez, les massifs se chargent tellement que le contrôleur s’interroge pour nous accorder le survol de Toulon. Malheureusement, une petite percée nous permet de rejoindre Cuers où son restaurant nous refait une santé. La Barre de Saint Quinis est passée ric-rac pour rejoindre la vallée de Brignoles. Un 360 pour laisser passer un Airbus, vertical Marignane et je me laisse aller à un long rase motte (chuuut) en bordure de la Camargue et jusqu’à Saintes Maries de la Mer. Montpellier Candillargues nous refait les niveaux, mais le Prompsy veut absolument revoir sa douce ce soir !  Donc, sans plus attendre, Sète, Béziers, Carcassonne et enfin Montauban après 6h15 de vol dans la Journée. Ce n’est vraiment plus de mon âge, ces conneries !

Après un déjeuner sur cette grande place, vestige de l’ancienne bastide médiévale, et après avoir rentré fissa mon superbe autogire dans le hangar, pour laisser passer une énorme averse orageuse, nous repartons pour notre chez nous à 400km. La Za est folle furieuse, comme vous pouvez l’imaginer, et ne comprend pas mon acharnement à rentrer dans cette météo pourrie. De fait, je vole en zigzag pour éviter des barres de pluie que nous finissons par prendre en pleine tronche. Jusqu’ici, dans ces moments là, je pouvais mettre ces mauvaises décisions sur le compte de ce foutu leader… mais il n’est plus là. Je compte refueler à Pons, mais vertical, ma femme me crie :

« je t’interdis de te poser, la piste est à moitié inondée et nous allons nous planter« 

A la Rochelle, je coupe au plus court dans la CTR avec la bénédiction de l’AFIS. A 30km du but, mon voyant d’essence clignote. C’est donc qu’il en reste un peu, mais rapidement, il devient fixe et le stress commence à monter sec. Mes yeux tournent de droite à gauche et de gauche à droite pour noter les champs possibles, tout en sachant que même si j’y arrive, je suis sûr de cabaner tellement les champs sont gorgés de flotte. Et c’est enfin sur mon chemin salvateur qui borde toujours ma piste inutilisable, pas très fier de ma connerie et après 7200km et 54h15 que nous nous posons soulagés et soufflant comme deux bœufs que l’on mène à l’abattoir.