Que dire ? Je peine à réaliser que j’ai traversé l’Atlantique, en fait. Pour le tour du monde en général, cela se fait tout doucement : l’idée s’impose peu à peu, d’autant plus que tu ne sais presque rien au départ… Puis, tu te renseignes, tu rencontres des pilotes qui l’ont fait, tu vas à l’assemblée générale de l’association Earthrounders (on m’y a invité), et de fil en aiguille, cela paraît a priori moins compliqué… maintenant, je sais que c’est faux, lol.
De fil en aiguille, tu prépares l’avion, tu fais des essais en vol avec les réservoirs supplémentaires, etc. Cela semble simple et tu te sens prêt… tout le monde en parle, alors le jour J arrive… émotion, pleurs, peurs ; tu te demandes ce que tu fais et où tu vas… mais c’est lancé.
Les premiers vols sont une découverte : tu apprends tous les jours, tu es dans un stress perpétuel. Tu apprends à supporter les administrations, l’enfer de la paperasse manquante, des papiers dont tu ignorais même l’existence. Tu te sens totalement seul, désarmé, à la merci de tout. En fait, le vol n’est rien, c’est presque un repos… le plaisir est réduit par la fatigue.
Arrivé au Cap-Vert, après 6 heures au-dessus de l’eau depuis le Maroc, un vol presque tranquille, sauf que la Mauritanie m’a refusé le passage par leur espace aérien… j’ai dû contourner, lol. Trois jours de paperasse au Cap-Vert : les Brésiliens ne répondaient pas, puis ils ont finalement dit oui, mais entre-temps, mon autorisation de décollage du Cap-Vert avait expiré. Donc, il a fallu la refaire… résultat, tu passes deux jours à l’hôtel sans sortir, à envoyer des e-mails toute la journée, enfermé pour rester près du Wi-Fi. Pas le temps de penser à la traversée, mais tu sens que c’est en toi, quelque part. Tu sais quel jour la météo semble OK.
La veille du départ, tu manges peu, tu regardes la mer avec une sensation de vide… je me sens vidé, content de partir mais usé, fatigué… Départ obligatoire avant 2 h Z (1 h du matin heure locale) car ensuite, l’aéroport est fermé pour les arrivées et départs. Donc, pas de sommeil ; je prends le taxi à 23 h 30, je n’ai pas dormi depuis la veille… arrivée à l’aéroport, du vent et une nuit noire.
Préparation de l’avion, je monte dedans et démarre… Tu sens que ça commence quand tu allumes la radio… contact avec le contrôleur, tu commences à rouler… Je n’avais jamais fait de vol de nuit avec cette machine. Alignement, décollage, un gros poids derrière moi… Je suis tant bien que mal une direction et file au-dessus de l’eau… là, nuit noire, tu vois juste le bout de l’aile avec les strobes…
Je monte doucement, je suis très chargé, 640 kg, je franchis des nuages, de la pluie, une première pour moi. Pas de peur, je pense que tu es tellement concentré que tu ne réfléchis pas, tu es en IMC de nuit et tu n’as jamais fait ça, pas le temps de penser que tu es au-dessus de la mer…
Petit jour. Quand tu vois les nuages, tu prends peur en réalisant ce que tu as traversé. Cela fait presque 6 heures que je vole… Je passe entre les nuages, puis dans les nuages, puis je monte… Le badin tombe en panne ; je verrai ensuite qu’il y avait de l’eau dans le pitot… Transfert d’essence du réservoir arrière au réservoir côté siège passager avec une petite pompe manuelle (poire), impossible de la faire fonctionner, pourtant, je l’avais testée… là, j’ai chaud, le cœur bat vite.
Heureusement, j’avais pris une petite pompe électrique à piles pour le transfert au sol et une manuelle… j’ai laissé la manuelle au Cap-Vert, mais j’avais gardé le tuyau accordéon. En assemblant le tout, le tuyau est assez long : il reste à ouvrir le réservoir arrière et attraper la pompe, contorsions multiples pour y arriver. Je plonge une extrémité du tuyau dans un réservoir et l’autre dans l’autre, j’appuie sur « on » ; tout cela à l’aveugle, c’est dans mon dos… ça marche, même si je renverse un peu d’essence… soulagement.
Ensuite, le vol continue. Quelques illusions d’optique : certains nuages me font penser à des îles en approchant du Brésil… ciel bleu les deux dernières heures ; c’est seulement là que je prends vraiment conscience que je suis au-dessus de l’eau. Pas de contact radio depuis 9 h, pas de peur, ce n’est pas le mot… une telle concentration que la pensée n’existe plus.
Arrivée à Natal, 15 nœuds plein travers sur la piste en dur, sans badin… posé, épuisé mais tellement nerveux, concentré que je ne ressens pas la fatigue.
Je suis le Marshaler, je coupe le moteur, j’ouvre la verrière, et là, le gars me dit : « Hello, Captain ». Je ne réalise pas car, en fait, je ne m’imaginais pas, au départ, ce que cette traversée pourrait être…
Hervé Ribet
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