Non, je ne suis pas éleveur de vaches, ni toréador, non ! il s’agit d’un terme courant en aviation, qui consiste à atterrir dans un champ, si possible accueillant, quand il n’est plus possible de rester en vol !
On m’a souvent répété après mon brevet de pilote que « tu n’es pas vraiment un pilote si tu ne t’es pas vaché au moins une fois ». Ce n’est pas trop mon avis mais, comme dit la chanson, ils sont si nombreux que peut être ils ont raison …
Bref, l’appareil construit et à peine testé, je traverse la France pour le parquer dans un hangar d’une ancienne ferme. Quand j’ai touché la haie du jardin sur une panne de freins, j’ai quand même décidé de quitter cette piste en pente de 200 m pour m’installer dans un vrai hangar d’aviation, sans remontée par le sol de jus de fumier, lorsque la météo s’installait à la pluie .
Me voilà donc sur un terrain avec une piste en herbe digne de ce nom, j’ai nommé Saint Georges de Montaigu, au sud de Nantes. Puis vînt le jour ou le rassemblement ULM annuel de Blois me fait de l’œil. J’ai le projet d’y aller en vol, où je compte bien présenter mon appareil et rafler le prix de l’originalité car avec sa peinture de guerre et ses bandes de débarquement, je pense avoir pas mal de chances sur ce coup là, en fait, secrètement, je me persuade que « je suis sûr de gagner ».
L’appareil est aligné, la manette des gaz avance doucement vers le plein gaz et l’Himax , ce petit monoplace, prend son élan pour voir défiler l’herbe de la piste et décoller, dans le ronron régulier du moteur. Large virage et me voilà montant au dessus de la campagne, cap vers Blois le Breuil. Marc, mon fils viendra me rejoindre en voiture. Nous sommes fin août/début septembre, je ne sais plus…
L’appareil se dandine du haut de sa croisière à 110 Km/h, un instant, je sens légèrement un relent de quelque chose, un mélange d’odeur d’échappement et de caoutchouc. Je regarde partout et constate que les températures des deux culasses de mon moteur sont très élevées, les aiguilles sont dans le rouge ! Je réduis alors un peu les gaz en tirant la manette de puissance, mais après quelques minutes d’observation, les températures restent malgré tout très élevées, ça monte moins vite qu’en régime de croisière mais ça monte toujours un peu. Je réduis encore un peu plus… L’appareil commence à descendre, lentement pendant que les températures montent elles… lentement. Finalement, je dois poser quelque part, et c’est la seule option possible. A ce moment, se produit un phénomène curieux dans ma tête, psychologique, je me sens parfaitement calme et serein, ça devrait être l’inverse, mais avec moi, c’était ça , presque une sérénité d’avoir pris la décision de me vacher en dessous, et il y a des champs en dessous, plein, mais lequel sera le bon ?
Face à moi et il me semble face au vent, trois possibilités, un beau champ bien long mais avec des grosses bottes de foin rondes dont je ne connais pas trop l’écartement, peut être que ça ne va pas passer. Un peu à droite un autre champ mais avec des vaches… et si une conne décide de traverser quand j’arrive, effrayée par ma merveille du ciel, j’aurai tout faux ! A gauche, à 45° de ma trajectoire, un petit champ de ce qui semble être un champ de blé fraichement coupé ou un truc comme ça. En général, un champ cultivé, c’est à peu près plat. Ce sera mon choix pour poser, car il est temps, l’appareil continue à descendre. Dernier virage calme pour m’aligner et je descends sur le blond de ce qui reste des tiges de blé quand je vois, un peu sur le côté un poteau en bois, un poteau téléphonique en entrée «de piste» dont je ne vois pas du tout les fils.
Je considère que le haut du poteau sera mon point le plus bas pour passer la petite route goudronnée contre le fossé duquel le poteau se dresse, puis une fois que ce poteau défile sous mon aile, je rends fort la main pour arrondir dans les tiges de blé, car le champ n’est pas bien long. Après contrôle, nous saurons qu’il mesure 200 mètres, avec cette ligne téléphonique en entrée «de piste».
J’entends nettement les restes de tiges de blés qui s’écrasent sous les roues, le blé coupé, ça freine pas mal, puis les cahots et l’appareil s’arrête, on est posé sans casse. Debout sur les freins, je termine quand même bien près de la limite du champ, avec une vigne à droite et des ornières de tracteur à gauche. Plein ralenti ( et je le suis depuis le dernier virage ), je coupe le contact, mais le moteur lui, continue à tourner sans allumage ! (à cause des culasses brûlantes). Moment de stupeur, d’incrédulité, et finalement en fermant l’essence, ça tourne encore un moment. Finalement le moteur s’arrête faute de carburant, non sans avoir bien secoué le bâti moteur par des soubresauts et des hoquets d’un moteur à l’agonie ! Hélice enfin arrêtée, j’ouvre la porte du zinc qui bascule vers le haut, sors de l’appareil et referme la serrure à clé, quand je me ravise et retourne retirer la radio Icom portable et le casque, pour ne pas tenter les éventuels loubards du coin.
Sur la petite route du bout du champ, je croise une vieille femme sur son tout aussi vieux vélo, poursuivie en courant par deux petits gosses. Elle m’interpelle : «Ah ben j’ai vu ce p’tit avion et pis j’ai entendu l’moteur ralentir ! Oh, j’ai dit là, il va pas aller ben loin !». Les gosses sont ravis de filer vers l’avion toucher partout, pour me regarder comme un vrai pilote avec mon casque dans une main et ma radio dans l’autre. Tout en me dirigeant vers cette habitation que j’aperçois à 100 mètres, je donne des consignes pour que personne ne touche à rien du tout. Alors elle me déclare « Un p’tit avion … Ah ben oui … C‘est vrai » ! Ca me fait rire et ça détend l’atmosphère, puis elle me dit que le propriétaire habite un peu plus loin, en me montrant du doigt des hangars et des vieux bâtiments « vous marchez un peu c’est la ferme par là-bas ! »
Cette charmante femme me suit un moment pour s’approcher de l’avion puis m’interpelle soudain. «Ah, le voilà, la voiture qui arrive, c’est lui le propriétaire, avec son fils». Le paysan et son fils sont super sympas et m’expliquent que si j’avais posé dans le champ d’à côté ( celui où il y a des vaches) ça n’aurait pas été pareil, car cet autre paysan a sorti un équipage de montgolfière posé dans son champ à grands coups d’engueulades !
Je demande « on est dans quelle commune ?», tout le monde rigole , je redemande, ne comprends pas « Faye d’Anjou » ?? c’est quoi, c’est la commune, c’est le nom de la commune ? Oui oui , me répond la vieille dame du vélo , Faye d’Anjou et comme je ne comprends toujours pas, elle ânonne en rythmant ses mots avec sa tête tout en montrant ses amygdales en approchant : « Faye d’An Jou , «—-Faye —- d’An —-Jou » comme si j’étais un étranger et que je ne comprenais pas bien le français … De notre côté, Il va falloir démonter les ailes, transporter ce soir la fuselage et revenir demain avec un support en bois vissé sur une autre remorque pour ramener les ailes au hangar du club. Toutes les bonnes volontés sont là pour m’aider.
Nous sortons délicatement l’aile droite de ses fixations, puis déconnectons les réservoirs Maintenant il est impératif d’éloigner les gens qui fument il est nécessaire d’écouter le pilote qui donne ses ordres . »Non ! Pas de coup de marteau sur les boulons, ça sort tout seul quand c’est bien aligné». Des gens regardent, certains s’en vont, l’après midi se termine, le soleil descend, la lumière aussi, le noir s’installe , la rallonge électrique sort , la baladeuse aussi. Finalement la première aile démontée, quelqu’un insiste pour arroser ça dans la maison du lilas pour goûter le Côteaux du Layon, c’est le coin me dit on ! On entend une voiture, on pose les verres, des phares, c’est Marc qui fini par arriver.
La remorque est une remorque d’ULM pendulaire . Maintenant , il va falloir hisser le fuselage sur la dite remorque. Maintenant c’est fait ! Allez re-visite de la maison pour goûter devinez quoi ? Le Côteaux du Layon ! Photos du groupe d’assoiffés, puis encore un p’tit coup de Côteaux du Layon pour la route et c’est parti pour Montaigu .
La traversée de Bellevigne en Layon et de Beaulieu sur Layon va se faire aux forceps, d’autorité je dirais même, à grand coups d’appels de phare, car les croisements dans les rues étroites sont difficiles et nous craignons pour le stabilo !
Notre cible, l’autoroute A87 qui contourne Cholet , puis la A83 qui remonte vers Montaigu à 120 Km de là. Les gens qui nous doublent ralentissent nettement « pour voir » sans doute . Heureusement, merci au dieu des pilotes, la maréchaussée à autre chose à faire cette nuit là, car avec notre remorquage et le Côteau du Layon dans le cigare , je pense que… La route du retour vers le club sera tranquille, en plein jour cette fois mais toujours par les barrières de péages de droite, l’expérience, c’est ça . Aujourd’hui , chaque fois que je prends un péage, j’y pense.
Ci dessous le routier et sa femme , des gens super !
Personne n’a demandé quelle était la panne ?
La courroie de ventilateur de refroidissement a cassé, mais pourquoi ? En fait quand j’ai construit l’appareil, j’ai acheté un moteur d’occasion qui n’avait pas de démarreur alors , j’en ai trouvé un chez un gars de mon club de l’époque ( Chambley ) qui lui ne pouvait pas mettre de démarreur à cause de sa cloison pare feu . Une pièce d’adaptation n’avait pas la bonne épaisseur, juste 2 mm d’épaisseur en moins. La courroie ne voyait pas ses deux poulies bien alignées, ça a fini par casser, dans les conditions que maintenant, vous connaissez . Nous avions promis des baptêmes de l’air, pour dire merci à des gens très très sympathiques, c’était il y a longtemps, en 2007. Le routier et sa femme étaient là aussi . Ils ont aimé. Le soir, nous sommes rentrés juste avant la nuit aéro, et nous sommes descendus de l’avion avec un gros carton dans les bras, qui à chaque pas tintait d’un bruit de bouteilles s’entrechoquant, vous aurez sans doute deviné que c’était du… Côteaux du Layon de …« Faye —- d’An—-Jou—-» ! Jacques Foucher, pilote désormais confirmé par sa première «vache». ( qu’il espère la seule ! )