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Martinique et ULM

Espoirs suspendus entre ciel et mer

Nous sommes Jérémy et Philine, deux passionnés d’aviation légère, fraîchement brevetés multiaxes. Après des années passées à rêver de liberté dans les airs en métropole, la vie nous a menés sur une nouvelle trajectoire. Début d’année prochaine, nous partirons nous installer en Martinique pour des raisons professionnelles. Et pour nous, cette mobilité est aussi l’occasion de vivre un rêve : continuer à voler, découvrir les îles vues du ciel, et pourquoi pas, faire du « island hopping ». Avant même de poser le pied sur le sol martiniquais, nous avons cherché à comprendre l’état de l’aviation légère aux Antilles. 

La Guadeloupe, la Martinique : pour l’ULM, deux îles, deux ambiances

Notre première escale virtuelle nous mène en Guadeloupe, cette île sœur de la Martinique, où la pratique de l’ULM semble mieux implantée. La Guadeloupe bénéficie de nombreuses infrastructures aéronautiques qui facilitent la pratique du vol léger. Avec ses pistes disséminées sur tout l’archipel, le terrain de jeu pour les passionnés est vaste. L’aérodrome de Saint-François, en particulier, se distingue par une activité ULM importante : baptêmes de l’air, formation de pilotes, et location de machines pour les amateurs souhaitant pratiquer en solo. Survoler les îles, de la Désirade aux Saintes, de la Grande Terre à Marie Galante, est à la portée de ceux qui prennent le temps de s’y former. La Guadeloupe montre donc que la pratique de l’aviation ultralégère est possible dans la région, et qu’une dynamique peut s’y maintenir. 

En Martinique, le tableau est bien différent. Alors que la Guadeloupe peut compter sur au moins une base ULM active et plusieurs aérodromes, la Martinique se heurte à l’absence totale de plateformes terrestres dédiées à l’ULM. Toute l’activité se concentre autour de l’aéroport international Aimé Césaire, qui, par sa nature, impose des contraintes pour les amateurs de vol ultraléger. Ceux qui souhaitent voler doivent composer avec un espace parfois occupé par des gros porteurs, et les rares structures d’écolage doivent jongler entre la demande et les exigences de sécurité.

C’est ce contraste frappant entre les deux îles qui a attiré notre attention. Pourquoi la Martinique, avec ses paysages tout aussi spectaculaires, ses côtes déchiquetées et ses plages sauvages, n’a-t-elle pas su développer une offre similaire pour les passionnés d’ULM ? Rapidement, nous avons compris que les obstacles étaient autant logistiques que réglementaires.

Rencontres avec les passionnés locaux

Pour en savoir plus, j’ai multiplié les contacts avec ceux qui ont fait, et font vivre l’aviation légère sur l’île. 

Parmi eux, Thierry Pradines et Fabrizio Nicotra font partie de ceux ayant tenté de développer une offre d’hydro-ULM en Martinique. Ensemble, ils ont opéré un bateau volant Polaris dans la Baie du Robert et d’autres hydrosurfaces déclarées. Thierry a documenté avec passion ses débuts, partageant ses premiers vols, les moments de réussite, les difficultés administratives. « Faute de signal depuis la côte au vent, il fallait téléphoner à la tour pour chaque autorisation de vol », m’a-t-il confié. Malgré une activité qui a su trouver son public pendant un temps, l’arrivée du Covid a porté un coup dur à cette initiative, et l’activité a progressivement cessé.

https://volerdpm.clicforum.com/t5579-mes-debuts-en-Martinique.htm

Le bateau volant Polaris de Thierry

Aujourd’hui, et malgré un impressionnant historique d’autorisations préfectorales, plus aucune hydrosurface n’est exploitée de manière régulière, et les rêves de Thierry se sont envolés, emportés par les vents des alizés vers la métropole.

Pourtant, ses récits laissent entrevoir un potentiel inexploité qui, peut-être un jour, pourrait renaître sous d’autres formes, comme en témoignent les pilotes des Iles du Ciel qui opèrent un Petrel sur la côte caraïbe de la Basse-Terre.

https://www.ulm-guadeloupe.com

Malgré l’absence de véritables plateformes ULM dédiées, l’aviation de loisirs reste active en Martinique, notamment à travers les baptêmes de l’air. Sophie Jacobé contribue à cette dynamique avec son activité Aérodream à bord de son autogire MTO, offrant des vols découverte depuis l’aéroport Aimé Césaire.

Depuis 2021, Jérôme Brochard, au travers de sa structure JS Aviation, propose également des baptêmes sur un Evektor Eurostar.

Le Eurostar de JS Aviation

Plus récemment, en 2022, une branche dédiée de la compagnie Airawak, dirigée par Françoise Guinot, a lancé une offre de baptêmes ULM à bord d’un G1, opérant aussi depuis Aimé Césaire.

L’appareil d’Airawalk

En matière de formation, Stéphane Pignolet a tenté de lancer un projet d’école de pilotage pendulaire. Malheureusement, son initiative s’est étouffée dans l’œuf lors des bouleversements causés par la pandémie, laissant le secteur en quête de nouvelles opportunités. À ce jour, Jérôme Brochard semble être le seul à proposer de l’écolage ULM, mais aussi de la location de machine. En tant que président de l’aéroclub Martinique Easy Fly, il m’a expliqué au cours de nos échanges à quel point la situation des ULM sur l’île reste compliquée.

L’Evektor est une ressource précieuse pour les élèves-pilotes ULM, mais il attire également les détenteurs de PPL (Private Pilot License) qui recherchent une alternative plus abordable que les avions certifiés. Avec l’augmentation des initiatives de formation de pilotes soutenues par les autorités, il est fort probable que cette seule machine ne suffise bientôt plus à répondre à la demande croissante.

Bien que la Martinique bénéficie d’une activité d’aviation de loisirs certifiée, concentrée en zone d’aviation générale de l’aéroport, avec plusieurs machines certifiées proposées à la location par différentes structures, l’activité ULM club semble peiner à trouver sa place, sans doute en raison de l’absence de terrain attitré. À l’exception de l’autogire de Sophie, parqué dans un container, il n’y a pas de hangar disponible en zone d’aviation générale, ce qui limite la présence de machines de type tubes et toiles, moins adaptées à une exposition permanente en plein soleil.

Les projets de terrain : entre espoirs et lenteur administrative

C’est donc du côté des infrastructures que la situation semble le plus bloquée. L’idée de créer une plateforme terrestre en dehors de l’aéroport Aimé Césaire revient régulièrement dans les discussions. Le projet le plus cité est celui de l’aérodrome de Chalvet à Basse-Pointe, au nord de l’île. Cet ancien terrain, situé hors des limites de la CTR et utilisé jusqu’au début des années 2010 pour le travail aérien sur les bananeraies, a été prospecté par Thierry pour en faire une base ULM.

Vue aérienne de l’ancienne piste de Chalvet, à Basse Pointe 

Les tractations semblaient aller dans le bon sens jusqu’à ce que la collectivité territoriale de Martinique mette sur les rails un projet d’aérodrome, fondamentalement intéressant mais qui semble s’enliser depuis de longues années. 

Au détour des forums et discussions, on entend bien parler de pistes en herbe, passées ou en projet, autour de Sainte-Anne et Trois-Rivières, mais là encore, les dossiers semblent gelés. « Aucun projet piste en herbe n’a été déposé pour le moment », m’a informé la DSAC. Pourtant, une base ULM terrestre permettrait de s’affranchir des contraintes d’utilisation de l’aéroport international, de pouvoir plus aisément baser et abriter des machines, et de créer un espace dédié aux pilotes amateurs. Au cours de nos discussions, on sent que les pilotes sont attentifs aux opportunités et à l’affût de toute nouvelle idée pour faire vivre l’ULM en Martinique. Pour Stéphane, la Martinique possède les atouts pour accueillir cette activité, mais il faudra savoir convaincre les autorités locales et trouver les terrains adaptés. 

Entretenir la flamme : louer, acheter, ou attendre ?

Alors, quelle option nous reste-t-il pour continuer à voler en Martinique ? Louer l’unique multiaxe disponible chez JS Aviation ? Importer une machine par conteneur et la baser sur l’aéroport international ? Se former à l’hydro-ULM et faire les démarches auprès du préfet de mer pour réactiver une hydrosurface ? Faire des aller-retour en Guadeloupe pour profiter d’une activité club ? Chacune de ces solutions a ses avantages et ses contraintes. Importer une machine pourrait nous offrir plus de liberté, mais l’intégrer à une structure existante, ou même créer un petit club pour partager les frais et rassembler les passionnés pourrait être le plus pragmatique. Dans tous les cas, il est sûr que la création d’une plateforme ULM ou d’un aérodrome indépendant de l’aéroport international Aimé Césaire faciliterait la vie aux pratiquants et le développement de l’activité.

La logistique ne nous effraie pas, mais la perspective d’une attente prolongée pour obtenir toutes les autorisations nécessaires nous pousse à réfléchir à la meilleure stratégie. Peut-être qu’en s’alliant avec les acteurs déjà présents, en participant à des initiatives comme celles de Jérôme, Sophie, Françoise ou Stéphane, nous pourrions contribuer à dynamiser la scène ULM sur l’île.

Zenair CH701 sur le Tarmac

Rêves de ciel et premiers contacts avec la réalité

Avec toutes ces informations en tête, la Martinique nous apparaît comme un terrain complexe mais passionnant. La situation peut paraître décourageante, mais c’est aussi un défi à relever, une page blanche à écrire pour les amoureux du ciel, alors même que les Petites Antilles sont marquées par l’histoire de l’aviation dans la région. Nous savons que la route sera semée d’embûches, que la patience sera de mise, mais nous restons convaincus que cette île a des possibilités à offrir aux pilotes de machines légères.

Les discussions avec les pilotes guadeloupéens et martiniquais nous permettent de mieux comprendre les réalités locales. À nous maintenant de trouver notre place dans ce ciel un peu capricieux, et de transformer nos rêves d’îles en une aventure bien réelle. Après tout, si voler aux Antilles demande de la persévérance, la vue depuis là-haut n’en est que plus belle.

Lectures pour aller plus loin :