Pour les pilotes sensibles aux voluptés du ciel, le terrain d’aviation de Vauville est un paradis. Aussi appelé « camp Maneyrol » en mémoire de son fondateur, il offre une plate-forme d’accueil spacieuse au-dessus d’une plage de sable immense, la plupart du temps quasi déserte, où se retrouvent les amateurs de mer, de vent, de glisse et bien sûr de vol libre. Qui survole Vauville survole l’Irlande : un paysage vallonné d’herbe et de bruyère à l’extrême nord-ouest de la péninsule du Cotentin, face à la petite île anglo-normande d’Aurigny, séparée du cap de la Hague par un saut de puce ULM. Quelques minutes de traversée suffisent à assurer un dépaysement radical. De l’autre côté les rochers sont couverts de fiente par les oiseaux marins, on mange le Sunday roast, on boit de vraies pintes (0,568 l) et l’on se retrouve au matin, après une nuit sous les étoiles, devant une assiette d’eggs and bacon propre à vous redonner courage pour la traversée retour (ne pas oublier la sausage et les beans).
Retour vers Vauville ? Hélas non, pour deux raisons. La première est qu’il faut d’abord passer le contrôle d’identité sur un aéroport douanier – le plus proche étant Cherbourg-Octeville. La seconde est que ce terrain historique, qui a vu les débuts de l’aviation avec et sans moteur dans les années 1920, a fait l’objet d’une captation d’héritage (voir encadré). Une petite bande organisée de pilotes de planeurs et d’ULM a obtenu de la municipalité l’exclusivité de gestion du terrain, avec la bénédiction de la DSAC. Sourds à toutes les demandes, les dirigeants du CVVVH (Centre de Vol à Voile de Vauville Hague) interdisent l’accès aux horsains – à savoir à tous ceux qui ne sont pas de la secte. Et vu qu’ils n’ouvrent la base que certains week-ends, le terrain reste vide, inutilisé tout le reste du temps.
Le prétexte derrière lequel ils se cramponnent est l’existence d’une piste traversée par une petite route départementale (la 15/33) alors que la 10/28, de 350 m de long, est libre de toute contrainte et ferait le bonheur de n’importe quel pilote d’ULM ! D’autant que pour qui fréquente les parages, le reste du paysage n’est guère accueillant – aéronautiquement parlant. Il y a bien des vaches dans les prés, mais pas de vache pour se poser en cas de pépin vu l’exiguïté des terrains et l’omniprésence des haies. Ce n’est pas pour rien qu’on a parlé de « guerre du bocage » pour y décrire la progression des Alliés après le Débarquement.
Alors prions, rêvons, espérons qu’un CVVVH revenu à la camaraderie des gens de l’air, peut-être aussi un peu poussé par les autorités de tutelle, adopte enfin le statut de la plupart des terrains normands : ouvert aux terrains voisins, ainsi qu’aux pilotes en faisant la demande…
Hubert Aupetit
Encadré : Les capteurs d’héritage
Faudra-t-il lancer Stéphane Bern sur le coup ? On se le demande sérieusement. Vauville fait partie du patrimoine aéronautique. Après une première édition à Combegrasse dans le Puy-de-Dôme en 1922, c’est à Vauville que l’AFA (Association Française Aérienne) décida d’organiser l’été suivant un deuxième congrès européen d’aviation expérimentale, ouvert aux planeurs et aux avionnettes, ou avions de faible puissance – en tous points précurseurs de nos ULM actuels. Alexis Maneyrol venait d’y établir, le 29 janvier 1923, un record de durée de 8h05 en vol de pente sans moteur.
Le 25 août, pendant le congrès, il battit le record du monde d’altitude en s’élevant à 3822 m sous sa « Moto-aviette » monoplan Peyret/ Sergant, un tubes et toile de 16 cv et de masse à vide 150 kg. Il en profita aussi pour gagner le concours de vitesse sur 30 km à 90,8 km/h, et le prix d’économie en consommant 0,675 l sur 20km. On voit qu’on est vraiment dans les chiffres de certains ULM actuels. Et c’est parce qu’il perdit la vie le 13 octobre suivant à Lympne, dans le sud de l’Angleterre, établissant un nouveau record d’altitude à 4200m, que les installations construites à Vauville dès 1925 reçurent le nom qu’elles portent encore aujourd’hui de « Camp Maneyrol ».
On peut d’ailleurs se demander si elles le méritent. Pour la petite histoire, et pour illustrer le mauvais esprit aéronautique du CVVVH, Maneyrol était de Frossay, en Loire-Atlantique, où sa mémoire est également honorée. Le club ULM de Frossay, en 2012, a voulu commémorer le centenaire de la première fête aérienne de Frossay où Maneyrol avait fait un vol de quatre minutes sous son Blériot XI. Ils ont sollicité l’autorisation exceptionnelle de se rendre en patrouille à Vauville. Que croyez-vous qu’il arriva ? Le CVVVH refusa.
J’ai bien d’autres exemples de ce mauvais esprit de camaraderie. Deux paramotoristes locaux ont été dénoncés à la gendarmerie et convoqués au tribunal pour s’y être posés. Un club de parapentistes s’est vu refuser l’entrée des hangars pour une séance de repliage de parachutes de secours quand la pluie s’est mise à tomber… Il y a bien captation non seulement d’un héritage, mais aussi d’une histoire magnifique, par des héritiers peu scrupuleux qui profitent de subventions publiques pour s’approprier un bien public – tout en étant bien contents d’être accueillis partout en France sur les autres terrains.
Nous avons mis en ligne une pétition afin de sensibiliser les autorités municipales à une question qui dépasse de très loin les seuls habitants de la commune. C’est comme une église qui refuserait quiconque venant d’une autre paroisse ! Signez et faites signer !
https://chng.it/Tj9HfMfCNg