Depuis toujours, les récits d’aventure me captivent. C’est une lecture qui permet souvent d’en apprendre beaucoup sur le monde qui nous entoure et qui nous fait toujours la promesse d’évoluer et de grandir avec l’auteur au fil des pages. S’il est vrai, qu’il est rare de trouver derrière la couverture un Tesson ou un Franceschi, cette fragilité littéraire permet néanmoins de passer un moment sincère et est toujours garante de l’authenticité du périple partagé. C’est exactement cela que j’espérais trouver en contactant James Ketchell, le premier homme à avoir réalisé un tour du monde en autogire. Nos échanges ont très largement dépassé mes espérances. Alors, au nom de cette authenticité, je m’efface à présent pour vous laisser en tête à tête avec James, notre premier auteur international. Je vous souhaite une bonne lecture et un bon voyage…
Mes premiers pas
Dès mon plus jeune âge, j’ai voulu apprendre à piloter des hélicoptères mais au vu des prix de formation j’ai été contraint de ranger cette idée dans un coin de ma tête. Ce n’est que bien plus tard, la trentaine passée et après avoir vécu d’autres aventures (ndlr :James est un aventurier accompli capable de gravir du 8000 , de traverser l’Atlantique à la rame ou la terre à vélo…) que j’ai relevé le défi d’apprendre à voler ! J’ai découvert le Gyrocopter à l’aérodrome de Popham, situé près de chez moi dans la périphérie de Basingstoke. C’est au cours d’un vol d’initiation sur cette machine que j’ai compris que je voulais absolument apprendre à voler. J’adorais la sensation d’être dans les airs, voler me faisait me sentir vivant, comme si j’accomplissais quelque chose !
Durant ma formation et après plusieurs recherches, j’ai réalisé que, malgré quelques tentatives infructueuses, personne n’avait réussi à faire le tour du monde en Gyrocopter. C’était le dernier type d’aéronefs n’ayant pas réussi la grande boucle. Quelque chose me semblait juste dans le fait d’essayer d’y parvenir. J’ai décidé, à ce moment-là, que c’était ce que j’allais faire. J’ai décroché ma licence de pilote dans un laps de temps relativement court. Il m’a fallu 45 heures de cours pour l’obtenir. (ndlr : Outre Manche, un autogire se pilote après l’obtention d’un PPLG (Privat Pilot Licence Gyroplane) composé d’une épreuve théorique et d’une pratique d’un minimum de 43 heures de vol dont 10 en solo). Finalement, c’est après avoir reçu ce précieux sésame que ma formation a réellement débuté. J’ai très vite construit mon projet. L’idée était de voyager autour du monde et d’aller à la rencontre des écoles dans chaque pays, partager des moments amusants, leur parler d’aventure et les encourager à poursuivre leurs propres rêves. J’ai consacré une grande partie de cette première année à monter mes heures de vol, à visiter de nouveaux aérodromes et même à effectuer mon premier voyage international ! Je suis venu chez vous, au Touquet puis j’ai rejoint Avignon. Je me suis retrouvé bloqué par le mauvais temps et j’ai dû ramener le gyro sur une remorque. J’ai énormément gagné en expérience, j’apprenais tout le temps et j’ai eu la chance d’avoir de très bons instructeurs.
Les préparatifs
Dans ce genre de projet, pour en avoir fait souvent l’expérience, le plus difficile n’est pas le voyage en lui-même mais la préparation et plus particulièrement la recherche de fonds pour le financer. J’ai estimé mes besoins pour ce périple à environ 140 000 € pour l’achat de l’appareil et les dépenses liées au voyage. Je savais que je réussirais à collecter cet argent si j’étais vraiment prêt à travailler pour l’obtenir. Après plusieurs mois et des centaines de refus, j’ai enfin pu trouver l’aide dont j’avais besoin.
Il existe plusieurs fabricants de Gyrocopter mais le seul avec lequel je souhaitais travailler était Magni, une entreprise italienne basée près de Milan. J’avais envie de voler en Bi-place tandem ouvert type M16 car ce gyro est facile à voler et a de très bonnes caractéristiques de vol. Il était connu pour être l’un des Gyrocopter les plus sûrs du marché. (ndlr : Je ne suis là que pour traduire les propos de James mais certaines phrases me coûtent plus que d’autres à coucher sur le papier…) Il n’y a eu quasiment aucune modification apportée au gyro pour le préparer au grand voyage. Le seul écart a été de l’agrémenter, en place co-pilote, d’un réservoir additionnel de 130 litres pour garantir une autonomie plus “confortable” pour certaines étapes.
Dans un premier temps, j’ai envisagé de traverser l’Eurasie au travers du Moyen-Orient, de l’Asie, du Japon, d’un petit morceau de Russie et de sortir par le détroit de Béring. Quelques mois avant mon départ, le Pakistan a fermé son espace aérien à quasiment l’ensemble du trafic étranger. Même British Airways s’est vu suspendre ses vols. Cette contrainte supplémentaire m’a obligé à trouver une nouvelle option. J’ai travaillé avec GASE qui, via une agence de planification Russe, m’a permis de survoler l’ensemble de la Russie ! (ndlr : GASE (General Aviation Support Egypt) est une agence composée de passionnés de l’aviation ayant pour mission de faciliter la venue ou le transit d’aéronefs pour dynamiser l’activité en Egypte).
Le grand départ !
Le 31 Mars 2019, je suis parti de l’aérodrome de Popham -EGHP. C’était un moment extraordinaire et chargé en émotions. J’ai réalisé ma première étape internationale en France, à Alençon. Cette ville est jumelée avec ma ville natale de Basingstoke. J’y ai été très bien reçu et j’ai parlé dans ma première école (ndlr : C’était le collège Saint Exupéry… Ça ne s’invente pas !), J’ai poursuivi mon tronçon de vol Européen via Friedrichshafen en Allemagne ou mon Magni M16 a été mis en lumière lors du salon aéronautique puis Varsovie en Pologne. J’ai trouvé une solution pour réaliser une première révision de l’appareil avant de poursuivre en Lituanie puis en Estonie pour clôturer ce premier chapitre à Tartu -EETU. J’ai traversé l’Europe en 13 étapes en totalisant 50 heures de vol depuis mon départ de Popham.
D’un bout à l’autre…
Cette nouvelle aventure consistait, en six semaines, à traverser la Russie pour arriver en Alaska via le détroit de Béring. La Russie m’a offert des paysages incroyables. J’ai débuté par un long survol forestier, des centaines de kilomètres verdoyants à perte de vue puis j’ai atteint la Sibérie. Tout a radicalement changé, des montagnes enneigées se sont offertes à moi et le thermomètre a frôlé le zéro degré (ndlr : Nous parlons ici de notre ami Fahrenheit… Un presque -18°C de chez nous !). J’ai dû adapter ma tenue et accumuler les couches pour rester au chaud.
J’ai pu rencontrer les écoliers de la ville la plus froide du monde, Yakoutsk. C’est la capitale de la république de Sakha (Fédération de Russie). J’ai été, une nouvelle fois, très bien accueilli par la population locale.
La traversée de la Russie a été réalisée sous contrôle radar total. Je ne choisissais ni la trajectoire, ni l’altitude de vol. Cependant, j’ai réussi à voler assez bas pour découvrir de vastes et spectaculaires paysages. Il était temps à présent de continuer mon périple vers l’Alaska en traversant le mythique détroit de Béring.
Pas à pas aux USA
Une fois sur l’autre continent, la température a vraiment changé. Il faisait maintenant très chaud. J’ai pu faire une nouvelle révision du gyro à Merrill Field -PAMR, un aéroport d’aviation générale situé tout près d’Anchorage. Me voilà donc prêt à attaquer sereinement l’Amérique !
Je ne voulais pas simplement voler d’Ouest en Est. J’ai donc décidé d’atterrir dans les 49 Etats des Etats Unis d’Amérique. Les souvenirs les plus étonnants sur ce continent ont été les survols du Golden Gate Bridge en Californie et de la Statue de la Liberté à New York City. L’Amérique était de loin l’endroit le plus facile pour voler. Tout était très détendu et il y a tellement d’espace là-bas que l’on ne gêne jamais personne.
Go to home !
Une dernière halte au stand à Boston et me voilà prêt à attaquer la partie la plus complexe du voyage. Il fallait boucler la boucle… Un dernier tronçon à travers l’Océan Atlantique nord. J’ai réalisé cette étape via le Canada, le Groenland, l’Islande, les Îles Féroé et l’Ecosse. Mon étape la plus longue faisait un peu plus de 500 milles marins entre Iqaluit au Canada et Nuuk au Groenland (ndlr : soit près de 950 km dont 650 au-dessus de la mer !). Je ne pouvais réaliser cette traversée qu’avec le vent dans le dos. Je l’ai parcouru avec une vitesse sol moyenne de 185 km/h, ce qui est plutôt rapide pour un Gyrocopter. Je ne volais pas assez haut pour recevoir les services de circulation aérienne. J’ai donc réalisé ces traversées maritimes en écoutant des livres audios. Je préférais écouter le livre audio d’Elon Musk que d’écouter les bruits de mon moteur car s’il ne se doutait de rien, moi je ne pouvais pas ignorer le fait d’être au-dessus de l’eau…
Après 175 jours, je suis rentré chez moi et j’ai établi un nouveau record du monde Guinness. J’ai été la première personne à piloter un Gyrocopter autour du monde. J’ai abordé ce voyage étape par étape, presque au jour le jour. Je ne voulais pas me laisser écraser par un périple trop important. Tout ce qui m’inquiétait avant de partir ne s’est jamais produit, et j’ai été étonné par l’incroyable fiabilité du Magni M16, et de son moteur Rotax 914 turbo compressé, le Gyro n’aurait pas pu être meilleur.
J’ai parcouru un total de 24 000 milles marins (près de 45 000 kms) en 175 jours et environ 350 heures de vol. J’encourage tout le monde à s’essayer aux autogires, ils sont tout simplement incroyables ! (ndlr : Sur ce point James, nous sommes d’accord !)