Pour clarifier tout de suite les choses, je n’ai pas pour ambition de concurrencer Christophe Guyon et sa magnifique chaîne Youtube « L’appel du Rotax » avec le titre de cet article.
Pour autant, comment symboliser autrement l’aventure qui suit que par cette entrée en matière ?
Le gamin dans le weedhopper sur la photo… c’est moi, en 1981. J’ai 8 ans et je me rève déjà en pilote de chasse ( que je ne serai finalement jamais..), face à un tableau de bord magnifique, aux commandes du Weedhopper JC24 américain flambant neuf acheté par mon père…en Belgique !
Pourquoi la Belgique me direz-vous ? c’est là que commence l’aventure rocambolesque de cette machine au destin improbable !
Il était une fois un constructeur américain, John Chotia, qui avait décidé, en excellent ingénieur de la NASA qu’il était, de fabriquer des machines simples et abordables. Je vous ferai grâce des nombreux modèles qui ont jalonné son parcours, très intéressant au demeurant, pour concentrer notre attention sur ce qui reste à mon sens son « chef d’oeuvre », le Weedhopper JC24, tracté par le cultissime, le tout à fait perfectible mais ô combien attachant moteur Chotia 460.
Du Weedhopper au… Grasshopper !
En 1980, une société belge désireuse de croquer un peu de la notoriété naissante de la discipline ULM décide de se procurer au prix fort l’une de ces machines, la fait venir des Etats-Unis et en pompe toutes les côtes afin d’en tirer une réplique quasi parfaite qu’ils allaient appeler « Le Grasshopper ». Je vous accorde que c’était un peu abuser ! D’ailleurs John Chotia s’est dit la même chose que vous lorsqu’il a appris que plusieurs clones de sa machine volaient en Europe de façon parfaitement illégitime.
Bien entendu, de procès en injonctions de stopper toute production du « Grasshopper », fin de l’histoire….. ou pas !
Souvenez-vous, le fameux Weedhopper original qui avait servi de modèle, lui, il était toujours là ! Tout neuf et prêt à voler. C’est Sandy, propriétaire d’un Weedhopper ET d’un Grasshopper, un gars au coeur en or massif, qui a positionné mon père sur l’achat de cette machine qu’il aurait en temps normal mis des mois à faire venir des US ( n’oublions pas que le mail n’existait pas…) alors que là, l’appareil n’était qu’à quelques encablures de Romainville (93), notre fief de l’époque.
La machine est finalement achetée, montée, testée par le Fabuleux Christian Lemonnier, ami fidèle de mon père, et sera dès lors exploitée dans le cercle familial et amical. C’est sur le siège de ce weedhopper que je ferai mon tout premier vol en ULM avec mon frère, moi assis en place avant… bon oui, ok, c’est un monoplace …mais ça, c’était avant ! On avait moins de 23 ans a tous les deux !
En 1982, mon père décide de se lancer dans la construction amateur mais pour ça, il faut des sous et pour en avoir, avec un salaire de gendarme, pas moyen de faire autrement, il va falloir vendre le Weed ! En 1982, l’ULM est en plein essor. Les grands rendez-vous de la discipline voient le jour et il ne faudra pas attendre longtemps avant de trouver preneur.
Le grand départ !
Le rendez-vous est pris avec l’acheteur, la transaction se fera directement à la caserne de gendarmerie où est parquée la machine. L’acheteur n’est autre qu’un chirurgien, très élégant, très posé, qui veut emmener le Weedhopper en Amérique du Sud dans le cadre de sa prochaine mission humanitaire. Nous, on est tout petits devant autant de savoir, de voyages et d’assurance. Et au delà de ça, on est super fiers de la destinée de notre machine qui va retrouver l’Amérique mais bien plus au sud pour apporter sa contribution à sauver des vies !
La machine part avec son nouveau propriétaire… on apprendra qu’un mois plus tard, le moteur sera volé dans le parking collectif de notre chirurgien qui se résoudra à s’envoler vers l’Amérique du Sud sans le Weed… puis… plus rien…
Des années plus tard, on apprend la disparition du chirurgien qui n’aura finalement jamais pu utiliser la machine. Puis à nouveau, plus rien…
39 années passent. En 2021, ayant décidé de rassembler le patrimoine aéronautique familial, je me mets en chasse, bien décidé à retrouver la trace de ce Weedhopper après avoir retrouvé celle de la construction amateur réalisée par mon père en 82. J’ai toujours le nom du chirurgien. J’écume les page blanches, jaunes, vertes, je classe, j’appelle, je barre et je redémarre ! C’est dur ! Le temps passe et rien ne se passe !
Une aiguille dans une botte de foin…
On est en avril 2021. Bossant dans les avions Long Courriers depuis 25 ans, j’en ai vu passer des milliers de clients ! Et pourtant, ce jour là, un miracle se produit. Explorant la liste de mes passagers Business, je tombe sur une personne portant le même nom que mon chirurgien volant. Le nom n’est pas commun mais comment imaginer qu’il puisse y avoir un lien…. Je prends mon courage à deux mains et je rejoins celui qui quelques secondes plus tard va tomber des nues en entendant le nom et prénom de son cousin adoré. Je n’y crois pas, il vient de prendre un upercut émotionnel et moi un triple mawachi ! On est tous deux un peu groguis mais si heureux de ce moment impossible. On échange et il me dit, souriant…. « Aaaah, Henri, c’était un mauvais garçon mais je l’adorais ! Combien de fois ai-je dû le sortir de prison !!! »…
Je m’étouffe, je repense à ce monsieur distingué qui était venu chercher le Weed, et lui dit : « il doit y avoir confusion ! Le notre d’Henri, il était chirurgien et devait partir en Amérique du Sud avec la machine pour aller de dispensaires en dispensaires ! ».
Mon client se marre et me répond : « Henri ? Chirurgien ? Je ne pense pas non ! Ce n’est pas le bistouri qu’il maniait ! C’était plutôt la lame de rasoir pour… enfin vous m’avez compris…. La drogue ! »
Là, le puzzle se met en place et je refais le film hallucinant de cette transaction, avec un pur trafiquant de drogue qui vient acheter DANS une caserne de gendarmerie une machine qu’il comptait utiliser non pas pour parcourir les dispensaires mais plutôt les parcelles de « plantations » ! L’image de la blouse blanche disparait au profit de celle d’une poudre de la même couleur ! Au secours !
On échange les coordonnées, mon client me promet de me recontacter pour me donner une piste qui pourrait me mener au Weedhopper et on en reste là. Après quelques temps, on se contacte et je sens que mon interlocuteur est gêné de ne pouvoir me donner des nouvelles satisfaisantes. Je le remercie et le laisse tranquille mais dans un dernier élan, je tente en solo de retrouver la trace de l’épouse d’Henri.
Du Weed à la Weed…
Contre toute attente, à force de recherches, je finis par la retrouver ! Je « gougueulise » son nom et prénom et comprends très vite pourquoi le client de mon vol n’était pas pressé de la retrouver. Elle fait partie d’une fratrie très célèbre, co gestionnaire d’un grand cartel mexicain de la drogue.
C’est à ce moment là que ma Femme me dit, un peu fébrile : « euuuh… tu es vraiment sûr d’avoir envie de retrouver ces personnes là ??…. » mais que faire, lâcher l’affaire si près du but ??? Impossible ! Je dois en avoir le coeur net ! Encore quelques recherches et je saurai où la trouver pour lui poser la question fatidique : « où est le Weedhopper ? »
Je la trouve enfin en février 2022 dans le Sud de la France…. Dans la rubrique nécrologique d’un site de services funéraires. Elle est décédée un mois plus tôt. C’en est fini. La dernière piste vient de se refermer et j’abandonne bien malgré moi l’idée de retrouver un jour cet appareil qui a changé nos vies à jamais.
Je me console comme je peux en poursuivant la remise à neuf des deux autres machines de mon père, le Paon d’Or (article dans La Gazette n°3 sur l’entoilage) et son Weedhopper construction amateur de 1982 dont la fabrication a débuté juste après la vente du 1er…
Sorti des limbes…
En juillet 2022, une drôle de mésaventure surgit. Branle bas de combat ! On apprend que des containers abritant du matériel appartenant au patrimoine historique de notre discipline pourraient être vidés de leur contenu, contenu qui risque de partir à la benne. Des photos sont prises sur place afin de faire le point sur la situation. Finalement, on s’aperçoit que les containers sont bien fermés, rien dehors, pas de désastre.
Il y a une espèce d’espace baché dressé entre les deux containers. Sous cette bache, je distingue sur les photos pas mal de matériel, et au milieu de ce matériel, un fuselage…. De Weedhopper. En partie arrière git ce qu’il reste de sa toile vert pâle d’origine après qu’une âme peu charitable eut décidé de découper le logo. En partie avant, on distingue un moteur, un Chotia 460, monté sur un bati moteur très bizarre… c’est pas un bati d’origine ça ! Et devant le siège, on distingue un tableau de bord… un tableau de bord… il me parle ce tableau de bord.
Mon coeur s’emballe. Vite, je reprends les photos d’époque, je scrute chaque détail, ça colle mais c’est impossible. J’appelle mon père, lui demande si le tableau de bord de son Weed était installé d’origine avant que nos téléphones respectifs ne soient témoins du silence le plus long qui ait existé depuis la création du 22 à Asnières !
Mon père vient de comprendre ce qui se passe, je comprends par son silence que j’ai vu juste ! Le tableau de bord, c’est lui qui l’a fabriqué et installé sur son tout premier appareil. J’ai finalement retrouvé, totalement par hasard, notre tout premier Weedhopper qu’on appelera au choix « Air Plaggia » pour son premier emploi en Belgique, « Air Cocaïne » pour la carrière sud-américaine qu’il aurait du avoir, ou « Air Destinée » ( avec Guy Marchand au micro) si j’en juge par la chance inouie qui m’a replacé sur le chemin de cet appareil ! Ces retrouvailles sont incompréhensibles et je me prends parfois à croire que ce Weedhopper, sauvé une première fois par les infatigables Vieux Debs ( www.lesvieuxdebs.fr ), m’a appelé et guidé pour que je le retrouve avant que tout ce qui était sous la bache ne soit benné ou dispersé aux quatre vents, ce qui a été fait quelques temps après.
La résurrection !
Aujourd’hui, après avoir été entendu dans ma demande, ce Weedhopper est de retour chez son propriétaire initial, mon gendarme de père, qui veille sur lui comme la prunelle de ses yeux et travaille doucement mais sûrement à sa réhabilitation et de ce côté là, il y a du boulot ! Mais il le fait, à son rythme, non pas pour lui-même mais pour nous tous, afin de permettre à cette machine au destin si singulier de sortir de l’ombre et d’entrer un jour au Panthéon de notre Histoire de l’ULM.
Si vous le voyez un jour passer dans le ciel, regardez bien au bout des tubes… on ne sait jamais ce qui pourrait en sortir !