TOUT ÇA POUR UNE RACLETTE

ATTENTION : l’équipe de la gazette vous avertit que certains passages de ce récit peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes. Bien entendu, tout ceci n’est qu’une fiction. Dans un souci de confidentialité nous prendrons néanmoins la précaution de modifier l’identité de nos deux protagonistes.

Il est 11 heures, Juddy fixe la manche à air située le long du terrain. Le fagnon est parallèle à la piste, courageusement accroché à son mât et fouetté par la grêle qui s’abat depuis plus de dix minutes sur l’aérodrome. C’est l’heure du départ et Juddy se rend à l’évidence. Cette première étape devra malheureusement se réaliser par la route. Le cœur serré, il laisse son autogire derrière les portes du hangar, les ferme à double tour et parcourt, en voiture, les 70 kilomètres le séparant de son compère, Elien.

Le programme du jour était pourtant simple. Un séminaire captivant regroupant les plus grands spécialistes de la presse ULM française se déroulait, le soir même, sur la capitale et nos deux amis avaient prévu de s’y rendre par les airs. Malheureusement, une météo capricieuse et déchaînée était sur le point de compromettre leur plan.

Quand Juddy rejoint enfin Elien, ils se remémorent ensemble toutes les notions de sécurité apprises lors de leur formation de pilote et listent l’intégralité des facteurs de renonciation au vol. Le séminaire devant se clôturer par une soirée raclette, la décision est prise et ils s’affairent maintenant à préparer la machine pour ne pas être en retard au rendez-vous.

“ Ancenis, de Fox Delta Whisky bonjour… Un autogire, deux personnes à bord… On s’aligne, on prélance et on décolle en 25…”

A l’instant où l’autogire quitte le sol, le doute s’installe immédiatement dans la tête des deux pilotes. Les rafales de vent sont très violentes, la machine a du mal en virage et rien que le fait de tenir un cap est difficile. Un coup d’œil sur la piste située 600 ft plus bas… c’est déjà trop tard, l’aérodrome, avalé par une perturbation n’est plus accessible.

CAP A L’EST

Normalement, le vol doit durer 2H15 mais le slalom entre les cellules pluvieuses complique énormément la navigation. Il est nécessaire, à plusieurs reprises, de traverser les rideaux de pluie les plus fins (ceux où il est encore possible de distinguer une forme sommaire d’horizon au travers). Après 1h30 de vol, seulement la moitié du trajet est effectuée. Elien et Juddy commencent à fatiguer et les solutions de ce labyrinthe sont de plus en plus difficiles à entrevoir. La situation se dégrade jusqu’au moment où l’autogire se retrouve au centre d’un cercle impénétrable… A cet instant, il n’y a plus le choix, la seule issue envisageable est au sol. Elien reste calme, scrute le paysage et s’aligne sur une route communale. Juddy, en P.L.S sur le siège arrière, ne trouve rien à y redire. L’Autogire, rejoint le plancher des vaches sans encombres et se gare sur le bas-côté afin de permettre au bus de retraités venant en face de poursuivre son chemin. La rencontre atypique de ces deux véhicules en laisse les occupants respectifs bouche bée…

30 minutes plus tard, la météo s’améliorant et les plans de secours entrevus n’étant pas des plus réjouissants, les deux ulmistes décident de reprendre les hostilités.

Route communale de Fox Delta whisky….” 

Peut-être pas si utile que ça, la radio dans ces circonstances, non ? 

Allez, on s’aligne, on prélance et …. La roue avant de l’autogire déleste, la compensation au manche est trop faible, l’ulm change de trajectoire et se dirige tout droit dans le champ situé sur la gauche de la route. Elien avorte cette tentative, coupe les gaz et essaie de freiner. Trop tard, l’appareil commence à grignoter la berge et s’affaisse sur son flanc gauche. Le rotor plein d’énergie est maintenu à droite, au manche par Elien. La situation se fige quelques instants et rassure temporairement nos deux aventuriers. Le problème est que… Le problème est que ! 

“ Elien, quand le rotor s’arrêtera, l’autogire va basculer ! Bordel ! il faut faire contre poids…” 

Ils ouvrent la verrière et se positionnent, rotor tournant et manche en butée droite, tous les deux à califourchon sur le bord de la cellule de l’ULM jusqu’à l’arrêt complet de la voilure. Elien descend et court soutenir le mât de l’appareil côté champ. Juddy se libère à son tour et, accompagné d’un courageux autochtone, l’appareil est sorti du fossé.

“ Rien de cassé ! On réessaie ?

Bah c’est p’tet pas bin prudent tout de même ” s’insurge l’autochtone dérouté. “ Pi y a une piste pour ces machins à 4 km d’ici en plus ”

Les visages de nos deux complices s’illuminent

“ Cool ! C’est possible de nous escorter jusque là-bas ?

Bah Bin sûr, suivez le guide ! ”

Et voilà comment un convoi, composé d’un kangoo en feux de détresse suivi de près par un autogire, tous strobes clignotant, se retrouve à sillonner les villages du coin jusqu’à atteindre ce milieu tellement plus naturel pour un ULM. (ndlr : il est possible que des vidéos sauvages réalisées, au smartphone, par les habitants d’un village de l’Eure et Loire soient visibles sur les réseaux sociaux. Ceci ne serait que pure coïncidence, rien à voir avec cette histoire fictive…)

La météo, de nouveau détestable et la nuit aéronautique approchant,  Elien et Juddy, fatigués par leur périple du jour, décident finalement d’abandonner l’appareil sur la base ULM et de faire appel à un ami pour finir ce voyage sans fin par la route. Le retour est initialement prévu pour le lendemain. La nuit devrait porter conseil…

GO ? NO GO ?

La météo maussade n’a pas quitté les lieux du week-end. La soirée et la raclette furent délicieuses mais c’est pleins de doutes que nos deux acolytes scrutent à présent le ciel, au travers des vitres de la voiture qui les ramène vers leur destrier à rotor.  

Les applications météo tournent à plein régime sur les deux smartphones et sont beaucoup plus rassurantes que l’ambiance régnant en dehors du véhicule. 

“ De toute façon, on verra sur place, Si c’est vraiment chaud, on n’y va pas…

Ouais Ouais “ répond Elien à cette interrogation sans conviction.

A l’arrivée sur le terrain, la manche à air, effrayée par 35 nœuds de vent essaie par tous les moyens de s’enfuir. Le détail important qui fait basculer la situation à ce moment-là, est que le vent est en plein dans l’axe de la piste et comme le dit Juddy : 

“ Au moins, on va pas mettre longtemps à décoller ! ”

C’est fou comme toute situation peut avoir ses avantages…

Bloqué à 800 ft du sol dès les premiers moments du vol, nos deux camarades se font secouer à chaque survol de zone boisée. Le schéma se répète sans cesse, le rotor s’affole, les casques tapent dans la verrière, les culs sont délestés et tout reprend immédiatement sa place initiale. 

Ce mode de fonctionnement, sur programme essorage est, depuis quelques minutes, devenu secondaire. Quitte à ne faire que des bêtises ce week-end, autant y aller à fond. Elien scrute nerveusement l’aiguille de sa jauge à carburant qui vient de s’appuyer sur le zéro du cadran. Il reste une dizaine de minutes de vol avant d’atteindre le point de ravitaillement prévu. Le trajet, dû à un vent de face, s’est considérablement allongé et le pétrole risque de manquer d’un instant à l’autre. L’aéronef arrive finalement à bon port pour ravitailler et ramènera, par la suite, sans encombre nos deux compères à leur point de départ… Ils rangent leurs affaires, épuisés par ce week-end chargé en émotions tout en se promettant, c’est juré, que plus jamais ils ne…. FIN