Curieux
En 94, pendant mes vacances à Bandol, un bruit de moteur me faisait lever les yeux vers cet engin bizarre que je voyais voler sur la mer. Il fallait que j’aille voir ça de plus près… J’ai vite trouvé qu’il décollait de la plage du Casino. C’est là que j’ai découvert ce ponton miracle et son équipe de fous avec des tas d’activités aussi bien sur l’eau que dans l’air…le parachute ascensionnel, le ski nautique, le wakeboard, le tractage de bouées, le jet ski et… l’ULM Hydro !
La découverte
J’ai vu que cet ULM était composé d’une coque de mini catamaran et d’une aile pliable. Cette coque passait ses nuits dehors, au port de Bandol au milieu des bateaux et l’aile dans une housse sanglée sur un fourgon ! Pas de hangar, mais un montage et un démontage sur la plage chaque jour d’utilisation… Cette activité dépendait bien sûr de la météo… Pas question de descendre l’aile du fourgon s’il y avait un risque de coup de vent important dans la journée : une fois monté, l’ULM était encore plus vulnérable accroché au ponton qu’en vol ! Ce ponton et son équipement étaient eux aussi en kit, montage et démontage à chaque saison !
Le premier vol
Me voilà parti pour un baptême ! Je n’avais aucune notion de vol. Installation en place arrière du siège en toile et c’est parti, on quitte le ponton en passant par le chenal réservé aux bateaux et nous voilà dans la baie de Bandol, face au vent, prêts à décoller… Quelques minutes après, accélération, moteur à fond, ça prend de la vitesse petit à petit, ça éclabousse, ça tape un peu et ça décolle enfin ! Notre bateau était en vol ! et c’était parti pour une vingtaine de minutes magiques, entre ciel et mer, les cheveux au vent ! Extraordinaire !
Le squat
Après ce premier vol, j’ai passé l’essentiel de mon temps de vacances à ce ponton… Il y avait une équipe super sympa et de quoi expérimenter tellement d’activités ! Baptême d’ULM pour mes deux fils de 14 et 17 ans, baptême de parachute ascensionnel, bouées… J’étais devenu squatteur !
L’initiation
Le pilote de l’ULM était le boss de l’équipe et il était instructeur ! Génial, je vais pouvoir apprendre à piloter cet engin ! Explications de l’essentiel des mécanismes de vol et me voilà en place avant pour goûter aux sensations du pilotage. C’était parti, et très vite moi aussi, je voulais pouvoir me balader en vol avec cet appareil les cheveux au vent ! Moi aussi, je voulais connaître ces vols où nos yeux, nos oreilles et nos sensations sont nos seuls instruments de vol !
L’apprentissage
Avec cinq ou six vols sur la première saison, c’était bien trop peu pour apprendre à voler, mais bien assez pour devenir accro à l’ULM ! De retour chez moi, j’ai cherché un club qui me permettait de poursuivre ma formation. Ce sera à Epernay… et j’y suis toujours !
Le décollage hydro
Le décollage sur la mer est plus compliqué que sur un lac ou sur la terre à cause des vagues et de la houle. On quitte d’abord le ponton pour se positionner face au vent. On attend le bon moment sans bateau ni jet ski sur notre trajectoire, on surveille la hauteur des vagues les plus grosses pour les passer avant de déjauger, faute de quoi la vague nous projette en l’air avant que notre aile ne porte… Heureusement, l’aile du Goéland est grande et décolle vers les 50km/h, une vitesse pas si facile à atteindre sur l’eau, surtout à deux ! Pas de badin à surveiller puisqu’il n’y en a pas, mais une aile à gérer avec doigté ! Pas de tringlerie, l’aile est au bout de nos bras, et c’est à nous de doser l’incidence en fonction de la progression de la vitesse, des vagues et du déjaugeage de l’appareil !
L’amerrissage
Il est plus facile que le décollage. Pour la direction du vent, on regarde le sens des bateaux au mouillage. On construit alors mentalement notre piste et surtout on surveille les jet ski qui n’imaginent pas qu’un ULM est en train de se poser sur leur terrain de jeux ! Un arrondi comme tout ULM et on se pose sur la partie arrière des flotteurs. Le Goéland n’enfourne pas, il ralentit très vite en redevenant un bateau. On commande les safrans aux palonniers pour se diriger sur l’eau et il reste à anticiper la coupure du moteur pour venir tangenter gentiment le ponton où quelqu’un doit attraper l’aile pour immobiliser l’appareil ! Sur flotteurs, c’est comme sur skis, il n’y a pas de freins !
Ma première vache en mer !
J’étais en place avant et Fred à l’arrière. Pour cette leçon, il m’avait proposé d’aller voir les calanques de Cassis en vol à partir de Bandol. Génial ! Je décolle l’appareil avec ses conseils, on monte, on passe à travers quelques petits nuages légers et transparents, et un peu après le moteur perd de la puissance… Pas de casques radio, on se parle en direct, Fred me demande de maintenir l’appareil en vol avec la puissance qu’il nous reste et je le vois sortir du siège arrière, monter sur le flotteur droit pour aller voir s’il trouvait ce qui clochait au moteur ! Il ne voit rien d’anormal, se remet dans le siège arrière et nous amerrissons gentiment près de la plage de Saint Cyr. Voilà le Goéland remorqué par un bateau jusqu’à la plage de Bandol. La raison de la panne ? la mousse du filtre à air était toute humide, elle avait dû prendre des éclaboussures lors du décollage et ajouter de l’humidité pendant notre rencontre avec les petits nuages. Le moteur Arrow du Goéland avait manqué d’air ! Séchage de la mousse au soleil, problème résolu, mais pas de calanques ce jour-là !
Ma seconde vache…
J’étais breveté, j’étais seul en Goéland et je virevoltais autour du zodiac d’un copain de Bandol. D’un seul coup, j’entends un bruit qui vient de l’arrière… Le moteur tourne, l’ULM vole, je réduis les gaz et décide de me poser sans tarder pour comprendre ce qui s’est passé. L’avantage sur la mer, c’est qu’il n’y a pas d’arbres ni de lignes électriques, que les pistes sont partout et avec l’orientation qu’on veut ! Me voilà posé, mon copain en zodiac m’aborde doucement, tout va bien. “Allo Fred, je suis vaché, tu peux venir me remorquer ?” Que s’est-il passé ? Les rivets de fixation de la sortie d’échappement avaient lâché et la pièce est passée dans l’hélice qui l’a projetée dans la toile de l’aile. Bilan : hélice en bois à remplacer et toile à réparer… Concernant ma réaction en vol, j’ai coupé les gaz pour me poser, mais je n’ai pas coupé le moteur comme j’aurais dû le faire pour le cas où l’hélice trop déséquilibrée aurait arraché le bâti moteur…
Fred, l’entrepreneur-constructeur
A 14 ans, encore sur les bancs de l’école, il répare les voiles de planche à voile à son compte. A 16 ans, il conçoit et vend des harnais de delta sur les sites de vol libre. A 24 ans, il achète un ULM hydro italien Air Dinghy pour commencer une activité pro à Bandol. Malheureusement, les flotteurs sont trop fragiles, l’appareil ne résiste pas…et l’entreprise ferme. Avec un ami, il construit alors un premier ULM avec une aile striker anglaise et un moteur Fugi Robin 40ch. Mais il a vite en tête l’ULM hydro qu’il veut construire, c’est le Goéland ! Il le dessine, fait les moules et le Goéland démarre ses vols en 1990, alors qu’il a 27 ans. Ensuite, c’est son gros bateau parachute qu’il construit lui-même…
Puis en 2004, c’est l’achat du Palétuvier, le remorqueur du porte avion Le Clémenceau qu’il transformera en base nautique pour l’organisation de séminaires d’entreprises… et en 2009, c’est la construction d’un restaurant d’altitude aux allures d’un cockpit d’avion sur le site de décollage Vol libre de Pra-Loup !
Fred, l’homme-oiseau
D’abord le vol libre. En delta et parapente, il totalise plus de 11000 vols biplaces, surtout à partir de la station de ski de Pra-Loup. En ULM sur roues, c’est d’abord au départ du terrain de Pampelonne près du lac de Ste Croix qu’il a volé, puis du terrain de Barcelonnette. Et il a aujourd’hui dépassé les 9000 heures en ULM hydro pendant ses 29 saisons à Bandol.
Beaucoup de baptêmes, mais aussi des vols pour des tournages de films comme celui avec Pierre Richard, un autre pour 30 millions d’amis où il vole en delta avec son chien Aris, des vols en accompagnement de catamarans de course, le tour de la Corse, la liste est longue ! Il est toujours aussi passionné de vol et convaincu qu’en ULM, c’est par la qualité de l’apprentissage que la liberté de voler et la sécurité pourront être préservées. Il a aujourd’hui dépassé les 14000 heures de vol en ULM !
Fred, mon maître
Avec lui, j’ai appris que tout était possible,
Avec lui, j’ai appris le vol plaisir, le vol sans contrainte, le vol sans instruments, le vol pur.
J’ai même appris le wakeboard, moi le piètre nageur…
J’ai testé le pilotage de son bateau-parachute et même de son remorqueur avec son énorme moteur V12 de 58 litres !
A Pra-Loup, j’ai testé le delta biplace sur skis et même la motoneige de nuit jusqu’à son restaurant d’altitude…
A Bandol, je me suis régalé du spectacle du décollage de la banderole qu’il tractait régulièrement sur les plages de la région. D’abord, c’était l’installation de cette toile sur un ponton en mer avec deux mâts entre lesquels était tendue la corde qu’il fallait accrocher au passage avec le grappin de l’ULM… puis le passage bas ultra précis qu’il fallait faire pour réussir cet accrochage et emmener les 300m2 de cette banderole !
Aujourd’hui
Fred entame maintenant sa retraite. Il lui reste à céder son restaurant d’altitude et il sera totalement libre pour pratiquer sa passion du vol. Je lui ai parlé de la Grande Course du 11 au 13 septembre dans la région du Perche, ce nouvel événement initié par Christophe Guyon. Comme rien n’est impossible pour Fred, il a déplacé ses vacances pour venir à ce rassemblement… avec le Goéland ! Comme le Goéland n’est pas amphibie, il reste juste un détail à régler… trouver les plans d’eau qui lui permettront de décoller et de poser !
Ma passion pour l’ULM
Elle a commencé avec le Goéland et j’avais 47 ans. Mon premier pendulaire a été un Jupiter avec une aile Fun et un Rotax 503 avec lequel j’ai commencé mes aventures ! 30 ans après, j’ai conscience que parmi mes différentes vies, celle de pilote d’ULM m’a fait connaître des tas de personnes exceptionnelles et des moments inoubliables ! L’ULM m’a emmené partout, moi qui suis tout sauf un champion, moi qui ai volé longtemps en pendulaire avec une simple carte Michelin plaquée sur le genou et moi qui préfère toujours atterrir sur un terrain ULM que sur un aérodrome avec un AFIS ou un contrôleur !
Mon seul conseil, c’est d’oser ! Oser sortir de sa zone de confort, oser partir à la découverte et surtout oser réaliser ses rêves !
Quelques pistes pour en savoir +
- Rechercher les 4 pages dédiées au Goéland dans le n°78 d’Ailes magazine de février 90
- La structure de Fred à Barcelonnette s’appelle Ubaye ULM / 06 37 05 23 06