A propos de L'auteur

Seul à bord …

Trouver une idée… C’était la question qui me trottait dans la tête depuis que j’avais rejoint ce groupe improvisé d’écrivains-journalistes auto proclamés. Ils ne rigolent pas les copains. Tout est parti d’un “ Et si on créait un magazine qui parle ULM “ pour se transformer, dès le lendemain, par “ 20 jours ; C’est le délai les gars, pour transmettre vos articles ! “. D’une certaine manière, j’adore l’idée. J’aime profondément m’entourer de gens proactifs qui, malgré eux, te bousculent dans ton train-train quotidien et t’obligent à te surpasser. En revanche, le revers de la médaille est quelque peu difficile à assumer. Quel sujet aborder ? Comment construire quelque chose d’intéressant, en si peu de temps, avec mon passé de pilote en carton ?

Autour de la table, je reconnais des têtes illustres de l’ULM Français ; Stéphane, Claude, Christophe et les autres… Quand je les écoutent parler, je me demande si j’ai réellement ma place parmis eux avec mes 80 heures de vol toutes mouillées, toutes classes confondues, en 15 ans. Mon inexpérience est telle, que je ne connais pratiquement que cela. L’appréhension, les prévols interminables, la boule au ventre au décollage et la sensation de plénitude qui arrive seulement au moment où une distance convenable me sépare du sol et que je suis presque sûr que mécaniquement tout est en ordre ! En fait, je pense être un expert de l’inexpérience… Oui, finalement c’est peut-être ça mon truc à moi, l’inexpérience !

S’il y a une situation que tous les pilotes ont connu à ce sujet, c’est ce que l’on appelle vulgairement “le lâcher”. Cet instant où l’on met toute notre incompétence au service de notre peau pour essayer de réaliser un tour de piste, parfait, seul à bord ( Lors du lâcher, la notion de “parfait” se résume souvent au fait de rester en vie et de ne pas détruire la machine de son instructeur… ). Moi, je m’apprête à vivre ce moment pour la troisième fois. Si si, je vous l’assure et cela doit me donner une certaine légitimité pour vous en parler.

Tout d’abord, Il faut savoir que c’est l’émotion qui permet aux souvenirs de se graver dans la mémoire. Plus l’émotion est grande, plus le souvenir est ancré profondément dans votre cerveau. Pour cette raison, vous vous souvenez probablement de la naissance d’un enfant, de l’annonce du décès d’un proche ou encore de ce que vous faisiez le 11 Septembre 2001 quand le monde entier est sorti de son innocence toute relative. Pour un premier vol seul à bord, c’est la même chose. La quasi totalité des pilotes en garde une trace indélébile.

Vous serez peut-être entourés de vieux briscards vous rassurant sur cette étape, ou, comme moi dans une démarche de recherche plus personnelle et solitaire car votre entourage est solidement arrimé au plancher des vaches et complètement étranger au monde aérien. En réalité, quelles que soient les informations captées, lues ou entendues, c’est à-peu-près comme votre premier jour d’école ou vos premiers ébats amoureux, aucun tuto sur youtube ne vous viendra en aide… Rien ne pourra remplacer la sensation vécue et l’émotion ressentie. Il faut se jeter à l’eau pour comprendre !

Nous sommes le 30 Septembre 2009 en fin de matinée quand nous posons l’autogire sur l’aérodrome de Fontenay-le-Comte ( LFFK pour les puristes ). J’utilise le nous car, en bi-place tandem, il y a une fâcheuse sensation de ne jamais réellement faire les choses tout seul. Tu ne peux pas apercevoir si ton instructeur touche aux commandes pendant le vol et cela nourrit l’inconscient ; limite l’assurance. Claude, mon instructeur de l’époque, bafouille quelques mots à la radio auxquels je ne prête pas attention et me demande de couper le moteur. Alors que nous sommes encore alignés sur la piste, Il descend de l’appareil, m’explique les réactions spécifiques de la machine quand on pilote en solo, puis me souhaite bon vol !

Je viens juste de boucler ma 16ème ou 17ème heure de vol en instruction et la sensation qui me traverse le corps à ce moment-là est indescriptible. Je sais, depuis le début de ma formation, que ce moment va arriver, mais je ne me sens pas prêt. Le doute arrive et je commence à paniquer. Après quelques secondes, je me reconcentre, souffle un grand coup et annonce mes intentions à la radio. Le “Go” arrive dans mes oreilles, Je redemarre, commence le prélancement du rotor, scrute l’ensemble des instruments dans l’espoir d’une défaillance m’apportant une excuse pour tout arrêter mais… tout est OK. Je bascule le manche de l’autogire en arrière, fini le prélancement, lâche les freins et pousse plein gaz ! 

C’est dingue… Je me souviens de chaque instant comme si c’était hier ! La roue avant qui se déleste, la vitesse du rotor qui est atteinte, les roues qui décollent… Je rends la main, effectue un palier et tire de nouveau sur le manche. Me voilà seul à bord d’un ULM, en montée initiale ! Quel moment !! Le plaisir, la liberté, l’adrénaline et plus une once de peur ! (Peut-être encore un peu, mais moins quand même…)


Je fais un tour de piste et reviens poser l’appareil. L’adrénaline et l’appréhension remontent proportionnellement au recul de l’altimètre. J’arrondis correctement mais, au moment où les roues touchent le sol, je rend la main trop tôt et l’autogire se soulève pour essayer de basculer sur son flanc droit. Je ne peux pas vous dire si c’est un réflexe ou les conseils, quelque peu secs et directifs, de Claude à la radio mais je rétablis immédiatement la situation et stabilise la machine. A peine remis de mes émotions, j’entends mon instructeur me demander de repartir. Sans réfléchir, je remets les gaz et redécolle aussitôt. Mon deuxième atterrissage sera propre et sera le dernier pour aujourd’hui. Je suis descendu de la machine avec la fierté d’avoir accompli une mission, très content de rendre l’autogire à son propriétaire, en un seul morceau et avec le sentiment d’avoir créé un souvenir inoubliable.

 Dix années sépareront ce moment de mon prochain vol. Je reprendrai le chemin de l’aérodrome en 2019 grâce au paramoteur. Aussi magnifique soit elle, cette classe d’ULM à tout de même l’impertinence de vouloir mélanger la premier vol et le lâcher ! L’appréhension me gagnera à nouveau mais il est vrai que le ressenti sera légèrement différent, quelque peu atténué. On ne retrouve jamais cette sensation, elle est unique. Au même titre qu’un astronaute le devient en quittant la stratosphère, je pense que l’on devient pilote, le jour où nous nous écartons, seul, de notre chère planète. Ce moment est délicat, compliqué et peut s’avérer périlleux mais il est nécessaire et permet de gagner ses premiers galons, de gagner sa liberté !

J’ai appris, quelques années plus tard, que St-Ex lui-même (Antoine de Saint-Exupéry, Écrivain-Facteur 1900-1944) avait rencontré des difficultés lors de son lâcher. Un premier touché de roues au bord de la catastrophe pour réussir à atterrir sans encombre au deuxième essai. La similitude me plait beaucoup (On se rassure comme on le peut) et je me rêve quelquefois, comme lui, à une vie de pilote aventurier et insouciant. Pour le moment, je vais reprendre les cours en autogire dans quelques jours et j’aperçois déjà cette forme de peur un peu sous-jacente pointer le bout de son nez… Finalement, ce sentiment ne me quittera peut-être jamais. Comme bon nombre de pilotes ULM, Il fera partie de mon quotidien et c’est surement mieux ainsi…